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Pour un fournisseur public exclusif

Avant la libéralisation de l’énergie, la production d’électricité est assurée par un quasi- monopole de fait d’Electrabel. La distribution et la fourniture de l’électricité est pratiquement un monopole de droit des communes confiées par elles à des intercommunales. Le secteur est strictement encadré par les autorités publiques dans le cadre du Comité de contrôle de l’électricité et du gaz (CCEG). La satisfaction de l’intérêt général dans le secteur est réalisé dans un cadre conventionnel liant les opérateurs et les partenaires sociaux, à l’élaboration duquel les pouvoirs publics ont été étroitement associés et dont la mise en œuvre est soumise à leur approbation. Ce système fonctionne relativement bien : les partenaires sociaux garantissent un prix de l’électricité favorable à l’industrie, le secteur engrange des bénéfices considérables et les investissements sont pris en charge par la collectivité, les intérêts des travailleurs du secteur sont largement pris en compte, les communes en tirent de grandes ressources.

La complexité du système engendre des coûts qui diminuent les bénéfices escomptés de la libéralisation.

La sécurité d’approvisionnement en quantité et en qualité est largement assurée. Les intérêts des consommateurs domestiques sont respectés par les syndicats tiraillés entre les intérêts des travailleurs du secteur et de l’industrie et celui des consommateurs qui sont leurs affiliés. Le prix est donc largement supérieur à celui des pays voisins même s’il faut reconnaître que les mesures sociales sont largement supérieures à celles des autres pays et que leur coût est pris en charge par l’ensemble des consommateurs. Le défaut majeur est de masquer un monopole privé de fait par un monopole public communal. La mainmise directe ou indirecte sur tout le secteur de l’électricité par un acteur unique (Electrabel) régulé toutefois par le Comité de contrôle et les autorités publiques permettait les subsides croisés (les secteurs peu rentables financièrement sont financés par les secteurs plus rentables) et la péréquation (on paie le même prix quelque soit le lieu où l’on habite, les coûts plus élevés induits par la dispersion de l’habitat dans les régions rurales étant compensés par les coûts moins élevés dans les régions urbaines). En réalité les subsides croisés ont plutôt favorisé les clients industriels et la péréquation telle qu’elle était appliquée alignait les prix à partir de la situation de la région la plus défavorisée en termes de coûts et permettait uniquement aux régions les plus favorisées d’augmenter leurs prix. Enfin, le CPAS occupe un rôle central dans le dispositif pour assurer l’accès à l’énergie. Dans ce contexte, le combat de la Coordination gaz-électricité-eau Bruxelles (CGEE) a été d’éviter les coupures de gaz et d’électricité unilatérales et d’obtenir un maximum de mesures sociales tout en recherchant des solutions collectives structurelles.

Après la libéralisation

La libéralisation permet une meilleure régulation du réseau de transport et des réseaux de distribution et fait baisser les prix du transport et de la distribution. La Commission de contrôle de l’électricité et du gaz (Creg) a d’ailleurs fait baisser les tarifs des gestionnaires de réseau et mis en place une politique programmée de baisse des tarifs du transport et de la distribution tout en assurant la rentabilité du secteur. Ces tarifs vont toutefois augmenter afin de permettre aux gestionnaires du réseau de transport et des gestionnaires du réseau de distribution d’entretenir et de développer les réseaux. La séparation des métiers ouvre, du moins en théorie, la concurrence pour la production et la fourniture (40 % du montant de la facture) et les prix peuvent baisser mais sans garantir la même qualité de service (bien au contraire !). On supprime toutefois la visibilité en matière de prix et cette instabilité entraîne un sous-investissement de la part des producteurs ainsi que des fournisseurs. Le sous-investissement spécialement dans la production mais aussi dans le transport et la distribution fait en sorte que l’on produit juste un peu plus d’électricité que celle que l’on consomme habituellement ; le moindre imprévu (centrales en panne, augmentation brusque de la consommation…) entraîne un déséquilibre entre l’offre et la demande et donc une augmentation des prix. On n’a aucune visibilité sur les stratégies des fournisseurs et le calcul des factures intermédiaires. La comparaison entre fournisseurs est difficile. Les consommateurs doivent choisir un fournisseur, conclure des contrats et choisir le meilleur rapport qualité-prix tenant compte de leurs besoins et de leurs conditions spécifiques.

….. La première tranche de consommation serait financée par tous les consommateurs. Le prix des autres tranches de consommation augmenterait progressivement afin de contribuer à économiser l’énergie.

Tous les consommateurs domestiques n’ont pas la possibilité, ni le rapport de force, ni les bonnes informations pour choisir le meilleur fournisseur et le meilleur contrat voire même trouver un fournisseur commercial. La complexité du système engendre des coûts qui diminuent les bénéfices escomptés de la libéralisation. En Région bruxelloise, les mesures sociales ont toutefois été maintenues voire améliorées (on a étendu le recours au juge avant toute coupure en gaz et étendu la période hivernale de 6 mois y compris pour l’électricité et permis le rétablissement de la fourniture en cas de coupure à l’intervention du CPAS). Les droits des consommateurs ont été défendus au maximum (durée des contrats, obligation de faire des offres comparables et non discriminatoires, fournisseur de dernier recours pour les clients protégés pendant la période du contentieux au prix du tarif social…). Enfin, le CPAS garde un rôle central mais a moins de possibilité de négocier avec les fournisseurs des bons plans de paiement pour les usagers en difficulté.

Fournisseur public exclusif

Plus que jamais la Coordination pense que la solution de fond passe par le retour des clients domestiques dans le giron d’un fournisseur public exclusif chargé en tant qu’intermédiaire de procurer de l’électricité et du gaz à ses usagers aux meilleurs prix auprès des producteurs et des fournisseurs du marché. Il ne remplacera donc pas le gestionnaire du réseau de distribution et ne constituera pas un nouveau monopole. Il faudra veiller à son indépendance par rapport aux acteurs du secteur et s’assurer qu’il recherchera effectivement l’intérêt des consommateurs et l’intérêt général. Il faudra organiser la participation des consommateurs et leur contrôle par rapport à la direction de cet opérateur public. Son grand intérêt consistera à maintenir la cohésion sociale et à ne pas segmenter la clientèle tout en ayant la taille suffisante pour négocier de bons prix et de bonnes conditions de fourniture.

Tarification solidaire et progressive

Ce fournisseur public pourra mettre en œuvre une tarification solidaire et progressive. Le tarif normal devrait permettre pour une grosse majorité des consommateurs de disposer en quantité suffisante de l’énergie dont ils ont besoin pour un usage normal. Cela serait réalisé par le fait que la première tranche de consommation serait financée par tous les consommateurs. Le prix des autres tranches de consommation augmenterait progressivement afin de contribuer à économiser l’énergie. Il faudrait tenir compte de la taille des ménages et de l’état des installations. Les fonds existant actuellement pourraient servir au paiement des mesures sociales encore nécessaires et à des transformations nécessaires des installations (comme le remplacement du chauffage électrique dans certains logements) ainsi qu’à des mesures d’utilisation rationnelle d’énergie (Ure).

Solutions alternatives

Les groupements d’achat peuvent constituer une solution alternative. Le rôle de fournisseur de dernier ressort tel que prévu pour Sibelga pour les clients protégés pendant la durée d’un contentieux avec un fournisseur commercial pourrait être modifié et étendu à tous les consommateurs qui le souhaitent au prix du marché mais le risque est grand de concentrer les clients en difficulté et de peser lourdement sur le tarif de la distribution et à terme le fournisseur public exclusif s’avère la solution la plus praticable. Il faut entamer la lutte contre la pauvreté énergétique sur un double front : alléger la facture des consommations pour ceux dont les revenus sont inférieurs à un seuil convenu et mettre à la portée des mêmes catégories principalement des locataires toutes les mesures d’utilisation rationnelle de l’énergie. Ces mesures doivent être structurelles et financées par un «fonds de solidarité» alimenté à la fois par des contributions des fournisseurs énergétiques qui font des bénéfices considérables avec la hausse des prix et d’autre part par une cotisation de solidarité prélevée sur les tarifs énergétiques tels que l’électricité, le gaz et le mazout de chauffage (elle serait distincte des mesures actuelles en gaz et en électricité et serait prélevée sur le tarif de transport en gaz et en électricité). On pourrait parallèlement mener un combat au niveau européen pour lever les obstacles juridiques à l’instauration de nos propositions de fond en obtenant la possibilité pour les États qui le veulent dans le cadre des services d’intérêt économique général (SIEG) de maintenir groupés les clients domestiques au sein d’un fournisseur public exclusif agissant comme intermédiaire entre les clients domestiques et les fournisseurs. ■