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Pour ou contre le cumul des mandats ?

Quand l’opinion publique veut dénigrer « les politiciens », les cumuls arrivent vite sur le tapis. Manifestement, le monde politique renâcle à y renoncer, avec des arguments qu’on ne peut ignorer. Mais qu’on doit réfuter.

La tendance actuelle en matière de cumul des mandats est à une plus stricte limitation. Des propositions de loi ont été déposées et certaines ont dépassé ce stade pour devenir des lois ou des décrets qui entreront prochainement en application. Parmi ces nouvelles règles, citons le quota limitant à 25% des membres de chaque groupe politique autorisés à cumuler un mandat de membre du Parlement wallon (député) avec un mandat au sein d’un collège communal (bourgmestre, échevin ou président de CPAS). On peut toutefois regretter que l’option choisie n’aille pas vers une interdiction pure et simple ce qui aurait constitué un signal nettement plus clair vis-à-vis de l’opinion publique. En fait, cette question est plus controversée qu’on imagine souvent. Examinons les principaux arguments avancés de part et d’autre.

Limiter les cumuls

Argument majeur : chaque cumul entraîne un risque de conflits d’intérêts entre les fonctions exercées. Les limiter entraîne donc une réduction bénéfique pour la société des situations où de tels conflits sont inévitables. Par exemple, un parlementaire qui exerce en même temps une fonction d’élu au niveau local peut être amené à prendre une décision dans laquelle il est à la fois juge et partie lorsque des thématiques impliquant les communes sont débattues au Parlement.

« Un parlementaire qui exerce en même temps une fonction d’élu au niveau local peut être amené à prendre une décision dans laquelle il est à la fois juge et partie. »

Autre argument avancé en faveur de la limitation des cumuls : permettre – ou obliger, c’est selon – les représentants politiques à se consacrer pleinement à l’exercice de leur fonction. En consultant le détail des mandats, fonctions et professions exercés par certains, on peut légitimement se poser la question du temps disponible pour accomplir efficacement ces tâches. Il n’y a évidemment pas un nombre de mandats raisonnable au-delà duquel on tombe dans l’excès. La situation est plus subtile. Il faut entre autres tenir compte du fait qu’un même mandat occupe plus ou moins de temps en fonction du cadre dans lequel il est exercé. Être bourgmestre de La Roche-en-Ardenne n’implique pas les mêmes obligations que ce même mandat dans une grande ville comme Charleroi ou Liège. La disponibilité des mandataires qui cumulent diminue de manière encore plus importante en période électorale. Le caractère chronophage d’une campagne est incontestable, les mandataires cumulant des fonctions à plusieurs niveaux de pouvoirs seront inévitablement moins disponibles, et ce, également pour l’exercice de leurs mandats qui ne sont pourtant pas concernés par l’élection. Le cumul peut donc être vu comme un facteur, parmi d’autres, du ralentissement de l’activité des organes politiques du pays en période électorale. En limitant les cumuls de mandats, on peut aussi vouloir lutter contre la concentration des pouvoirs qui est un facteur d’affaiblissement de la démocratie. On peut aussi craindre qu’en permettant à un nombre restreint de personnalités de s’accaparer certains postes, le cumul limite la compétition politique tout en réduisant la possibilité d’émergence de nouveaux talents. Enfin, mieux encadrer les cumuls permettrait de limiter le cumul des rémunérations des mandataires. Notons toutefois qu’il existe actuellement des plafonds à ces rémunérations (maximum 1,5 fois la rémunération d’un parlementaire). La déclaration de mandats introduite en 2009 par la Région wallonne a d’ailleurs pour objectif principal de vérifier la bonne application de ces plafonds. C’est la raison pour laquelle les mandataires doivent fournir le détail de leurs rémunérations et des avantages en nature à la cellule wallonne de contrôle. Les partisans de la transparence regretteront toutefois que ces informations ne soient pas rendues publiques.

Permettre les cumuls

L’argument principal en faveur de la possibilité de cumuler les mandats est l’ancrage local. Ainsi, un député qui exerce en même temps un mandat au niveau communal aura une connaissance plus précise des problématiques locales et cette connaissance acquise « sur le terrain » pourra nourrir son travail parlementaire… au risque de voir les parlements « encombrés » par des questions sur des thématiques locales qui n’ont pas lieu d’y être traitées. Un tel cumul entre un mandat local, réputé stable, et un mandat régional ou fédéral beaucoup plus tributaire du balancier politique pourrait assurer aux mandataires une forme de sécurité face à la remise en jeu régulière de leurs mandats. Certains vont jusqu’à émettre l’hypothèse que cette sécurité procure aux mandataires un surcroît d’indépendance dans leur prise de décision, indépendance accrue entre autres vis-à-vis de leur parti. Selon d’autres analystes, imposer une interdiction pure et simple des cumuls verticaux, par exemple entre les fonctions de député et d’élu au niveau communal risque de détourner des personnalités de talent de certaines assemblées. Acculées à choisir, certaines préféreraient garder leurs mandats locaux qui, par nature, ouvrent plus de portes (mandats dérivés au sein des intercommunales…). Cela nous ramène à l’argument de la sécurité abordé précédemment. Cette sécurité accrue pour les mandataires entraîne toutefois une concentration des pouvoirs qui ne sert pas les intérêts de la société. Enfin, le maintien des cumuls aurait pour effet de réduire les dépenses publiques. En effet, étant donné l’existence des plafonds de rémunération déjà évoqués précédemment, les mandataires qui dépassent ces plafonds du fait de l’exercice simultané de plusieurs mandats publics se voient privés des sommes excédentaires. C’est donc autant d’argent « gagné » pour les finances publiques.

Et les mandats privés ?

Pour ma part, j’estime que les arguments en faveur des cumuls et plus particulièrement entre la fonction de député et d’élu au niveau communal, qui est le type de cumul le plus mis en cause à l’heure actuelle, sont nettement contrebalancés par une implication plus grande des élus, une réduction des conflits d’intérêts et une meilleure distribution des fonctions politiques. On constate également que les arguments en faveur des cumuls servent plus spécifiquement les intérêts des mandataires tandis que les arguments orientés vers une plus stricte limitation le sont au bénéfice de la société. Cet écart est probablement une des causes de la dichotomie entre une société civile globalement en faveur d’une réduction des cumuls et le manque d’enthousiasme de la part des mandataires politiques de la plupart des partis à prendre des positions plus progressistes dans ce domaine. Enfin, la question du cumul des mandats ne se limite pas exclusivement aux mandats exercés simultanément. Cette notion devrait utilement être élargie aux mandats exercés successivement. Mais surtout : on doit déplorer que la Belgique manque de règles encadrant le passage d’un mandat public vers un mandat privé ou inversement, même si certaines limitations légales existent déjà. De telles règles seraient pourtant utiles dans le cadre d’une lutte plus efficace contre les conflits d’intérêts. D’autant plus que de tels cumuls sont beaucoup moins transparents que le cumul de mandats publics alors qu’ils ne sont pas moins pernicieux. Mais, bien sûr, interdire tout cumul entre un mandat public et un mandat privé n’aurait pas de sens, car il est impossible d’objectiver toutes les situations potentiellement problématiques. http://www.cumuleo.be/