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Plan de campagne à multiples inconnues

À quelques mois de l’échéance, quels sont les enjeux politiques d’un scrutin dont le caractère local ne passionne généralement pas les foules ? À y regarder de plus près, il y a pourtant quelques nouveautés. En Wallonie, la professionnalisation du métier d’élu local, combiné avec le transfert d’importantes compétences communales vers les Régions, provoque une certaine municipalisation du débat politique régional qui interpelle.

Le vieux cliché reste d’actualité : la commune est le berceau et le refuge de la démocratie. Depuis la fusion des communes de 1976, son double rôle de tremplin et de point de chute dans la carrière des politiciens s’est accru, accentué par la récente et substantielle revalorisation financière des fonctions politiques communales au 1er janvier 2001. Nous voulons ici exposer les enjeux traditionnels et nouveaux du scrutin communal et nous interroger brièvement sur la municipalisation de la politique régionale. Nous conclurons que dans ce monde complexe et globalisé, l’élection communale reste, en Belgique, un élément essentiel du système politique. Les premières questions se posent dès avant les élections : qui est candidat, quels partis seront présents, avec quels programmes et éventuellement avec quelles alliances préélectorales ?

Les candidats

Comme le remarque si bien Fabienne Greffet, «les caractéristiques sociologiques des sortants, et des futurs élus ou réélus, demeurent largement ignorées, comme si elles ne recelaient aucun intérêt pour l’analyse politique. Ces informations s’avèrent pourtant révélatrices à plusieurs titres : elles permettent de discerner les attributs qui favorisent l’obtention ou la conservation d’une légitimité élective, d’observer de grands mouvements sociologiques qui animent notre société et même de prévoir partiellement la teneur de l’offre politique offerte aux citoyens» .F. Greffet, Elections municipales : on prend les mêmes…, .solcidsp.upmf–grenoble.fr/cidsp/publications/articles/greffet–élections.municipales.rtf.

« On assiste à un renforcement politique et économique des grosses communes, surtout lorsqu’elles disposent d’un «député-maire». Le système clientéliste augmente, l’opacité et l’inégalité aussi. »

La combinaison de trois législations provoque la professionnalisation du maïorat : fusion des communes (1976), revalorisation financière (1999) et élection semi–directe du bourgmestre (2005). Ajoutons à cela l’exigence d’égalité de candidature hommes–femmes, la volonté de placer visiblement les nouveaux Belges ainsi que les jeunes. Les anciens personnels politiques locaux sont donc en voie de remplacement rapide.

Les partis

Si dans les grandes communes les partis se présentent sous leur étiquette fédérale, la pratique des listes locales persiste dans les petites communes. Celles–ci cachent à peine des listes fédérales ou des cartels. L’électeur n’est que rarement dupe de ce jeu de cache–cache. Sous une forme ou sous une autre, les quatre partis traditionnels seront présents partout, à la différence des partis des extrêmes gauches et droites. Certaines formations préfèrent négocier et annoncer avant les élections l’alliance de gestion qu’elles appliqueront. Si l’on se demande si cette stratégie est porteuse en voix, elle peut certainement favoriser la présence à l’exécutif. Pour le reste ce jeu d’alliance est parfois tenu secret et il obscurcit quelque peu le résultant d’ensemble. Les partis ne peuvent se contenter de mener 589 campagnes différentes – ou 262 en Wallonie et 19 à Bruxelles. Ce sont notamment les motivations de vote des électeurs qui les contraignent à une stratégie plus intégrée. L’électeur est gouverné soit par un choix stratégique, soit par un choix déterministe, soit par un choix émotionnel, en fait par un mélange personnellement dosé des trois. Même si l’on sait qu’«il est manifeste que la familiarité et la réaction affective subséquente du citoyen envers un candidat ou un parti politique sont déterminantes dans le comportement de vote. L’électeur serait en effet plus susceptible de voter pour un candidat/parti donné plutôt qu’un autre parce que ce candidat/parti lui est plus familier» G. Pleyers, L’endoctrinement affectif du citoyen, Liège, Editions de l’université de Liège, 2006, p. 75. Les listes locales doivent donc dépenser le capital de reconnaissance et de sympathie des partis dont elles dépendent et de leurs dirigeants les plus populaires.

Les programmes

Ils sont largement imprégnés des programmes fédéraux, agrémentés de touches d’actualité (sécurité…) et de problèmes locaux. La persistance des anciennes communes d’avant fusion transparaît dans le catalogue des promesses. Ils devraient constituer la source première d’information de l’électeur, mais bien peu d’entre eux ont les moyens et le désir d’en prendre connaissance. Ils sont généralement ramenés à un résumé accrocheur soigneusement «marketé», alors qu’ils devraient constituer un mode de raisonnement sur la politique locale. Un examen des causes des situations dénoncées est évité parce que jugé ennuyeux et distrayant l’attention de l’électeur de l’essentiel : orienter son vote. Le programme–menu participe à la désinformation et au désintérêt de l’électeur. Le problème est plus grave au niveau communal puisque les médias ne joueront qu’un rôle accessoire dans les enjeux locaux. Seules quelques villes disposent d’une télévision communautaire qui puisse donner la parole aux différents compétiteurs d’une même commune. Les grandes télévisions et la grande presse écrite ne peuvent quant à elles véritablement couvrir les 589 communes du pays. Quelle est donc l’influence sur le résultat de ce rôle en mineur de la télévision que l’on crédite habituellement du rôle d’influence majeur lors d’une élection ?

Les électeurs

Les corps électoraux varient légalement – peu – selon le niveau d’élection et le mode de scrutin n’est pas exactement le même. On affirme souvent que les motivations des divers électorats divergent selon les niveaux. Mais nous ne disposons pas en Belgique d’études fouillées sur la question. Certes, le nombre d’électeurs potentiels varie peu d’un scrutin à l’autre. Mais il faut se souvenir du combat symbolique mené et gagné par les gauches pour offrir le droit de vote aux habitants non ressortissants de l’Union européenne. Ce seront leurs premières élections. Leur inscription sur les listes électorales, leur participation au scrutin et leurs choix seront des indicateurs utiles de leur intégration. Le précédent du vote des Européens ne laisse pas attendre un engagement de masse. Va–t–on assister à un «vote ethnique», en faveur des candidats de la même communauté soit sur les listes habituelles, soit sur des partis spécifiques ? Qui vote pour ces candidats, pour ces partis et pourquoi ? L’on sait enfin qu’une campagne ethnique par bouche–à–oreille a fonctionné dans le passé.

« Les programmes devraient constituer la source première d’information de l’électeur, mais bien peu d’entre eux ont les moyens et le désir d’en prendre connaissance. »

Dans un registre voisin, l’électeur sera confronté à une offre massive de candidatures féminines. Mais cela ne signifie pas une campagne sexuée au sens de la mise en avant par les femmes seulement de problèmes politiques qui toucheraient plus particulièrement les femmes. Les études électorales de genre devraient donc trouver ici un nouveau territoire.

Effets indirects

Après les élections, les choses sont plus complexes encore. La question essentielle de la soirée électorale sera de savoir qui a gagné et qui a perdu. L’on cherchera donc les comparaisons avec les élections passées et avec les sondages. Une lecture simpliste voudrait que l’on ne compare que ce qui est comparable : les élections communales de 2000. Mais pour des raisons d’amour-propre les hommes politiques tenteront les comparaisons les plus audacieuses, si elles leur sont favorables. Tous les gagnants voudront y voir une préfiguration des élections législatives de 2007, une sorte de préconfiance de l’électeur. Ils n’ont pas tout à fait tort. Dans notre petit pays désormais fédéralisé – ce qui réduit encore les enjeux – une élection à un niveau influence, perturbe même, tous les autres. Il y a là une globalisation du politique qui plaide pour une unicité des échéances électorales. Si l’on voit mal le résultat des communales influencer les majorités gouvernementales en place, on peut en revanche s’attendre à deux effets indirects. D’une part, des remaniements ministériels. Certains s’appuyant sur leur score voulant monter au gouvernement ou au contraire se replier sur un maïorat bien conquis. D’autre part, la fixation de la date des élections législatives peut en être affectée. Les résultats des élections provinciales qui se tiennent le même jour constituent le seul terme sérieux de comparaison pour les futures législatives. Comment les électeurs se sont–ils comportés ? Qui ont–ils élu ? Les sortants qui se représentent avec l’appui de leur parti sont–ils presque inamovibles quel que soit leur bilan ? Dans ce cas, l’électeur préfère la continuité au changement qu’il réclame cependant souvent en parole, mais rarement par son vote. L’on tentera de répondre à la question classique du transfert de votes d’une élection à l’autre. Mais le seul résultat des élections ne permet pas de répondre à cette question. Il faut le secours des sondages, bien improbables pour un scrutin communal. L’on sera également attentif aux réussites féminines, jeunes, ethniques. Le score des formations d’extrême droite sera particulièrement attendu, pas seulement à Anvers, mais aussi à Charleroi, Liège, de même qu’à Bruxelles. Le vote pour l’extrême droite est d’une nature différente de celui pour les autres partis : il n’a besoin ni de chef, ni de militants, ni de programme, ni de bilan. Il est largement perçu comme un danger pour la démocratie P. Italiano, M. Jacquemain et Jean Beaufays, La démocratie en perspective. Tables rondes de citoyens contre l’extrême– droite, Bruxelles, Luc Pire, 2006. Une sorte de thermomètre de son état de santé. Enfin, en Flandre, on s’interroge sur la résistance du cordon sanitaire contre le Vlaams Belang. Finalement, le seul vrai gagnant, c’est celui qui se retrouve au pouvoir. Ces élections communales seront aussi un test de sensibilité des électeurs aux «affaires» qui ont éclaboussé un certain nombre d’élus. Et de se demander quelle est l’importance réelle de la moralité en politique ?

La municipalisation du Parlement wallon

Une définition simple du phénomène pourrait être une sensibilisation exagérée du Parlement wallon aux problèmes et aux influences communaux à la suite de sa colonisation par les élus locaux. Les causes du phénomène sont multiples. Depuis la fusion de 1976, la plupart de nos communes sont moyennes ou grosses, ce qui, couplé avec la récente revalorisation financière des fonctions exécutives locales, rend le métier plus attrayant et suscite l’intérêt de nouveaux managers communaux. La professionnalisation va balayer les retraités bourgmestres ou échevins.

« Dans notre petit pays désormais fédéralisé une élection à un niveau influence, perturbe même, tous les autres. Il y a là une globalisation du politique qui plaide pour une unicité des échéances électorales. « 

Les différentes réformes de la Constitution ont fait basculer sur les Régions l’essentiel de la compétence d’organisation, de tutelle, de contrôle et de subsides des communes. Les politiques communales sont déterminées par la Région. Il est donc dans la logique des choses pour un bourgmestre qui se veut efficace de tenter de pouvoir infléchir ces processus à la source, c’est–à–dire en siégeant au parlement régional. Tentation attisée par un plan de carrière dû à la professionnalisation. Un bourgmestre important devient assez facilement parlementaire (et réciproquement en partie seulement). Le travail électoral est basiquement le même et la notoriété acquise dans un domaine est immédiatement transférable à l’autre. Les dispositions sur l’élection semi–directe du bourgmestre va dans le même sens. La liste doit être conduite par un candidat très populaire pour décrocher le maïorat. Mais, plus il y a de personnalisation, moins il y a d’idéologie. On pourrait croire qu’il y a là une amorce d’autonomisation des élus, mais le parti récupère le contrôle puisque c’est lui qui choisit les députés. Peut–on objectivement mesurer le phénomène et quels seraient les indicateurs possibles ? Ici encore, la littérature scientifique est lacunaire. Tentons donc quelques pistes.

  • La première idée est de compter les cumuls de mandats de parlementaire wallon avec une responsabilité exécutive communale, en ce compris les CPAS, les intercommunales…
  • Une deuxième possibilité consiste à scruter la production décrétale et budgétaire du parlement régional. Quels sont les thèmes privilégiés et les montants alloués dans l’intérêt des communes ?
  • La troisième approche, plus subjective, est de déterminer l’optique dans laquelle décrets et budgets sont votés. Les acteurs de terrain dénoncent souvent le paradoxe suivant : malgré l’entrisme des municipalistes, on assiste à une caporalisation des communes au fur et à mesure du transfert des compétences de l’État à la Région. L’influence du «député–maire» se limiterait donc pour l’essentiel au rapatriement de subsides et d’approbation de projets.

Enfin, les effets de ce phénomène se portent sur les communes et sur le Parlement régional. On assiste à un renforcement politique et économique des grosses communes, surtout lorsqu’elles disposent d’un «député–maire». Le système clientéliste augmente, l’opacité et l’inégalité aussi. Les communes qui ne bénéficient pas de cet appui sont défavorisées. La notion de centre versus périphérie est ainsi revisitée. Quant au Parlement wallon, on lui reproche de manquer d’une vue globale de la Wallonie au contraire du Parlement flamand. Ici, la somme des parties est inférieure au tout. Les égoïsmes locaux priment sur l’intérêt général.

Berceau démocratique

Les élections communales constituent un enjeu important de la politique belge. D’une certaine façon on peut les considérer comme les plus démocratiques puisque ce sont elles qui ont le corps électoral le plus large. Aussi, les enjeux, les candidats et les bilans sont-ils plus facilement perceptibles par tous. Enfin, le mandat de conseiller communal permet d’impliquer le plus grand nombre de citoyens : ils sont les plus nombreux et ne dévorent pas le temps de l’élu. Bref, la commune reste le lieu privilégié de la proximité et de la démocratie.