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Peut-on sortir du capitalisme ?

Winston Churchill, ce fieffé conservateur, avait déclaré : « La démocratie est la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes les autres ». Il aurait pu ajouter dans la même veine : « Le capitalisme est le pire mode de production à l’exception de tous les autres ». Aujourd’hui, cette opinion fait largement consensus. Le capitalisme n’est assurément pas une merveille. Mais « les autres » ? En Corée du Nord ? Au Viêtnam ? Même Cuba n’est plus tout à fait ce qu’on a cru qu’il était…

Depuis qu’il existe et que de la plus-value a été extraite du travail salarié des prolétaires, le capitalisme a alimenté l’espoir qu’il était possible d’en sortir. Longtemps, la voie révolutionnaire a imposé sa primauté dans les imaginaires : la capitalisme sera abattu au terme d’une épreuve de force centrale où « la classe ouvrière » et ses alliés arracheraient le pouvoir d’État à la bourgeoisie. Cette ligne triompha pour la première fois en Russie lors de la Révolution d’octobre 1917. La Chine a suivi en 1949. Mai 68 donna une nouvelle vigueur à ce millénarisme révolutionnaire : hors du Grand Soir de la grève insurrectionnelle, point de salut.

Un siècle plus tard, nous voilà bien avancés. À peine sortis (à l’échelle de l’histoire longue) du capitalisme, la Russie et la Chine y sont depuis allègrement retournés, et avec quelle brutalité. Quant aux régimes « non capitalistes » qu’elles avaient mis en place pendant quelques décennies, les horreurs spécifiques qu’ils ont produites semblent bien donner raison à la variante de l’aphorisme churchillien.

Mais peut-être s’y était-on mal pris. Au sein des gauches européennes, beaucoup refusèrent l’aventure révolutionnaire. Ils étaient « réformistes » : on pouvait sortir du capitalisme en douceur, en accédant au pouvoir par la voie électorale et en impulsant à partir de là des réformes qui changeraient progressivement la nature de la société. D’autres, plus proches de la tradition libertaire, se méfiaient du « tout-à-l’État » cher au réformisme social-démocrate. Ils s’employèrent à développer au sein même du capitalisme des poches de résistance – notamment les coopératives de production et de distribution – comme autant de germes d’une autre société déjà en gestation.

Aujourd’hui, plus personne ne sait vraiment à quoi pourrait ressembler un « au-delà du capitalisme » qui ferait office d’utopie concrète pour le moyen terme. Au fil du temps, les descendants du vieux réformisme sont devenus les sages sociaux-démocrates d’aujourd’hui, et ceux-ci ont désormais d’autres problèmes. Quant aux héritiers du vieil anarchisme, ils font vivre une réjouissante « économie sociale et solidaire » qui permet à des milliers de travailleurs et de consommateurs d’échapper à la brutalité du capitalisme, sans mettre celui-ci le moins du monde en danger comme système global.

Mais si une hypothétique « sortie du capitalisme » ne semble plus à l’ordre du jour, sa perspective reste une boussole et trace un chemin. C’est peu, mais c’est indispensable. Car au moins une chose est claire : le capitalisme conduit l’humanité et la planète à leur perte. Il ne saurait jamais être question de s’en accommoder.

Ce dossier a été coordonné par Jérémie Detober, Gabriel Maissin, François Perl et Violaine Wathelet.