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Parcours d’écueils

‘‘Cela va peut-être en étonner certaines : ici, au Café Carabosse, après avoir beaucoup réfléchi, beaucoup discuté, nous sommes arrivées à la conclusion qu’en effet, il faut rendre obligatoire un parcours d’intégration, ou d’accueil, pour celles et ceux qui n’arrivent décidément pas à s’adapter à nos valeurs, et qui rendent le vivre ensemble tout à fait impossible. – C’est une décision grave. – En effet. Mais nous sommes un pays ouvert, attaché à nos valeurs de liberté, d’égalité et nous sommes désormais convaincues que tout cela est menacé. Nous devons préserver notre identité : connaissance du français, citoyenneté, respect de nos mœurs et coutumes… Tenez, il suffit de se balader sur les réseaux sociaux ou sur les forums des journaux pour se rendre compte combien de gens sont incapables d’écrire correctement une expression aussi simple que « dehors les étrangers ! » ou « et nos SDF à nous ? » Une bonne connaissance de la langue est la première condition d’une bonne communication. – Et quel serait le contenu de ce parcours ? – Eh bien, nous avons réfléchi à une série de thèmes, tous liés à nos principes ou nos lois. Par exemple, un cours sur le droit au logement, pour propriétaires refusant de louer leur bien à des personnes étrangères, ou bénéficiaires d’une aide sociale ; ou sur le droit à la vie privée pour ceux qui prétendent qu’on peut débouler à l’improviste chez des chômeurs pour contrôler leur mode de vie… Et je ne vous parle pas du droit de circuler librement (article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme), d’avoir « un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille » (article 25), de « manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en privé » (article 18)… Et, bien sûr, nous serons particulièrement attentives à tout ce qui va à l’encontre de l’égalité entre hommes et femmes, l’une de nos valeurs les plus sacrées, comme on nous le répète tous les jours. Là, nous nous adressons aux employeurs pourvoyeurs de plafonds de verre, de planchers collants et d’écarts salariaux, à ceux qui frappent leurs compagnes, aux harceleurs de rue, aux députés grivois… – Voilà qui fait beaucoup de monde. Où trouverez-vous les moyens ? – C’est bien là la question ! Mais il paraît que c’est en rendant ces parcours obligatoires que hop, miracle, on trouve des budgets là où, quelques semaines auparavant, il n’y avait rien, ou si peu. C’est comme si l’argent poussait sur l’obligation. Et sinon il reste le crowdfunding, lui aussi un peu forcé… – Mais si ce parcours devient obligatoire, que faire des gens qui ne le suivent pas, ou qui, arrivés à la fin, gardent leurs mauvaises habitudes ? On les renvoie chez eux ? Mais c’est où, chez eux ? – Chez eux, c’est dans des grottes préhistoriques. On a pensé à les y enfermer… mais on ne va pas abîmer ces merveilles pour ces abrutis. Non, le désert leur conviendrait mieux. Désert, murs, barbelés : ils auront tout le temps pour méditer sur leur sort et tenter de revenir avec de meilleures intentions. Si du moins ils arrivent à franchir le parcours d’écueils qui, lui, est obligatoire depuis longtemps pour arriver jusqu’à nous…