Des parlementaires proposent d’ajuster le calendrier scolaire de la Communauté française pour le faire coïncider avec celui de la Flandre. Une idée simple, mais est-elle sans conséquence ?

Entre la Saint-Nicolas et la trêve de confiseurs, l’actualité politique belge est traditionnellement marquée par le vote en dernière minute du budget de l’État. Étrangement, on parle peu du budget des entités fédérées, si ce n’est pour annoncer les coupes de subsides dans le monde culturel. C’est probablement parce que la Communauté française a d’autres chats à fouetter. Début décembre, des parlementaires CDH, PS, ÉCOLO et DéFI ont déposé une proposition de décret relative au calendrier scolaire annuel. Cette proposition fait suite à la révélation quelques semaines plus tôt que les vacances de printemps 2019 n’auraient pas lieu au même moment dans les écoles flamandes et dans les écoles francophones.

En cause ? Chacune des Communautés a établi en toute autonomie ses propres critères (la date du lundi de Pâques pour la Flandre, un nombre maximal de jours de congés pour la Communauté française) pour fixer ses dates de congés, ce qui relève somme toute de la logique fédérale la plus simple. Ainsi, la rentrée – et a fortiori les congés – diffèrent d’un canton à l’autre en Suisse, sans que cela émeuve qui que ce soit. Même en France, pays centralisé s’il en est, les vacances sont organisées par zone géographique, à l’avantage des vacancistes qui étalent ainsi les locations. En Belgique, cette logique dépasse visiblement certains parents et les parlementaires qui veulent bien les entendre.

La Belgique serait un trop petit pays pour organiser des vacances scolaires dissociées (bizarrement, on n’a pas entendu l’horeca sur la question). Qui plus est, des parents souhaitant établir des liens, créer des ponts entre les Communautés, ont choisi en toute naïveté (?) de scolariser leurs enfants non seulement dans des réseaux différents, mais également dans des Communautés différentes. De ce fait, les enfants d’une même famille n’auront qu’une semaine de congé commune et les parents devront trouver à occuper leurs enfants pendant trois semaines plutôt que deux.

En réalité, on fait ici face au paradoxe du belgicain. À trop vouloir construire des passerelles, il en a oublié qu’il y avait un fossé qui ne fait que se creuser au rythme des réformes institutionnelles et des querelles communautaires (aujourd’hui, le bourgmestre de Renaix/Ronse souhaite supprimer les facilités linguistiques). La logique fédérale belge est communautaire. Le shopping communautaire, à savoir choisir la Communauté la plus performante ou la plus intéressante en fonction de la prestation, est contraire au sens de l’histoire politique belge. On peut évidemment le regretter, mais le bicommunautaire est une aberration. À Bruxelles, on y gère, avec une double majorité linguistique (communautaire donc), des compétences d’intérêt régional (les hôpitaux publics ou, prochainement, les allocations familiales) dont la Région ne peut légalement s’occuper.

C’est évidemment dans la capitale – seule zone bilingue du pays faut-il le rappeler à ceux qui pensent que les communes à facilités sont des territoires bilingues – que le bât blesse, car la coexistence de deux Communautés est propice à des différences de traitement et le spectre d’un apartheid plane : dans un même immeuble, des enfants sont traités différemment selon qu’ils relèvent d’un service francophone ou flamand. Un exemple parlant est sans aucun doute celui des crèches. Les normes ONE et Kind en Gezin sont différentes tant en termes d’encadrement, de formation du personnel que d’infrastructures. Celles-ci étant moins contraignantes côté flamand, de « fausses » crèches flamandes ont pu plus facilement se développer alors qu’on n’y parlait pas néerlandais, privant ainsi les parents néerlandophones de places pour élever leur enfant dans sa langue. La Flandre a dû recourir à un nouveau décret pour résoudre cette situation inextricable, tandis que la Communauté française a dû assouplir ses règles pour faciliter la transition et la reconnaissance par l’ONE.

Dans un monde idéal, créer des Communautés distinctes sur un même territoire n’est probablement pas souhaitable, car cela entraîne des discriminations. Mais la Belgique n’est pas un idéal. La Belgique fédérale est une création par défaut, sans but, sans idéal précisément (mise à part l’indépendance de la Flandre pour les nationalistes flamands). La piste communautaire, que l’on peut déplorer mais avec laquelle il faut vivre, est le produit d’un compromis et c’est celui-ci qui fait tenir la Belgique, bien plus que les ponts des belgicains.

Ne nous leurrons pas non plus. Certes des parents idéalistes choisissent de scolariser en tout ou en partie leurs enfants dans des écoles flamandes de Bruxelles, mais si beaucoup font ce choix, c’est par intérêt. Sous prétexte d’opter pour la meilleure éducation possible pour leurs enfants (ce qui n’est pas sans rappeler la controverse des parents français, pourtant attachés à la laïcité, qui inscrivent leurs enfants dans des écoles catholiques), ils fuient ainsi la Communauté française apparemment réputée pour les bas de classement Pisa. Dans ces circonstances, voir des parlementaires de la Communauté honnie accommoder des parents qui contournent le système est interpellant. Ne feraient-ils pas mieux de repenser l’école ou de tenter l’expérience de l’immersion à Bruxelles, plutôt que de satisfaire une minorité de personnes ne jouant pas le jeu collectif ? Les parents wallons, largement majoritaires en Communauté française, ne jouissent pas de cette option. Les élections approchent et, par opportunisme plutôt que par cynisme, les parlementaires préfèrent offrir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière à leur électorat, en supposant d’ailleurs que ces parents votent pour des listes du collège francophone bruxellois alors qu’eux ont également la possibilité de choisir de voter pour des partis néerlandophones !