La prison en soi est une atteinte lourde et violente aux droits et libertés de base qui vont avec le fait d’être libre. Son sens, et la manière dont elle remplit – ou non – ses objectifs méritent évidemment d’être débattus, et l’ont d’ailleurs été dans un autre numéro de la revue. La présente réflexion se limite au droit de grève dans les prisons et au rôle des syndicats du personnel pénitentiaire.

Cet article a paru dans le n°104 de Politique, « Syndicalisme : un mouvement social sous pression« , juin 2018.

L’article de Vaïa Demertzis pose bien les termes de l’aspect le plus actuel du débat, et pour moi la conclusion s’impose : oui, nous devons d’urgence en Belgique introduire pour les lieux de détention, non pas un « service minimum », mais bien un « service garanti », et tenter de mettre fin aux situations de négation des droits que connaissent trop souvent nos prisons, et cela pas seulement d’ailleurs en période de grève.

Quand ce qui est en jeu est aussi essentiel que manger, être soigné, pouvoir marcher, se laver et avoir des contacts avec le monde extérieur, il n’est pas de droit de grève qui tienne, s’il ne permet pas de garantir ce minimum vital.

Mais il n’y a pas que la façon de mener les grèves qui paraît discutable. D’autres aspects de la stratégie syndicale méritent qu’on s’y attarde, et il s’agit notamment des revendications que le syndicat met en avant.

Certaines ne peuvent que recueillir l’adhésion : c’est bien sûr le cas de la surpopulation. Il s’agit d’un véritable et immense problème, dont les détenus qui se partagent souvent à deux ou trois un espace de 9 m2 sont certes les premières victimes, mais dont le personnel pénitentiaire fait également les frais. Les solutions ne sont pas forcément de construire plus de prisons, et on pourrait commencer par mettre en cause l’investissement insuffisant dans les sanctions alternatives, les peines de plus en plus longues, et les freins mis aux libérations … On ne peut également que souscrire aux dénonciations syndicales des conditions de travail frustrantes et inefficaces, qui sont souvent d’un autre âge, surtout semble-t-il dans les prisons wallonnes (ordinateurs vétustes, caméras de surveillance aléatoires…).

Recrutement et formation

Mais d’autres exigences paraissent à la réflexion moins convaincantes. Parmi les revendications toujours mises en avant, la principale est celle du « sous-effectif », qu’il est d’usage de qualifier de « chronique ». Certains objecteront que la Belgique a beaucoup plus de personnel par détenu que d’autres pays, comme la France, mais ce n’est pas forcément un argument très convaincant, car un système n’est pas l’autre. Néanmoins, ce qui est particulier dans nos chiffres d’encadrement est que le problème du manque de personnel est dû pour une large part à l’absentéisme, qui atteint des proportions importantes, de l’ordre de 10 à 20% selon les établissements[2.C. Dubois, L’étau et le réseau : recomposition des contextes de travail des équipes de direction pénitentiaire, INCC, septembre 2016]. Et ceci est bien sûr un cercle vicieux, car ceux qui sont présents sont débordés, et leur ras-le-bol bien compréhensible. Avoir assez de personnel pour qu’il y ait suffisamment d’interactions humaines avec les détenus, et moins de systèmes automatisés de surveillance est certainement bénéfique, mais le véritable problème est-il le nombre, ou d’abord la qualité du recrutement et de la formation ? La Belgique ne connaît pas d’école digne de ce nom pour l’administration pénitentiaire ; les deux centres existants dispensent certes une formation pendant le stage d’un an qui suit l’engagement, mais le bagage en est léger, et les critères de réussite à ce point flous que sont nommés trop de gens peu adéquats et mal préparés. Beaucoup trop de gardiens ont de leur fonction, souvent choisie sans enthousiasme et principalement pour la sécurité d’emploi, une image négative qui est également celle que leur renvoie la société. Pourtant, les ratés en période de présence policière montrent bien qu’il s’agit d’une mission difficile et précieuse que l’on ferait bien de valoriser davantage.

Le sécuritaire immédiat

L’autre grand motif de protestation syndicale est celui de la sécurité. De nombreux mouvements de grève sont initiés, ou l’annonce en est brandie, suite à un incident avec un prisonnier, ou à la perspective de l’arrivée d’un détenu réputé violent. La menace de grève est une épée de Damoclès très efficace, et il en résulte pour le syndicat un pouvoir disproportionné qui très souvent paralyse les initiatives des directions. Il a fréquemment pour effet que c’est la délégation qui détermine quelles activités seront autorisées pour les prisonniers, et si des sanctions disciplinaires seront décidées contre l’un ou l’autre détenu. La tendance est de mettre la priorité sur le court terme et le sécuritaire immédiat (portes fermées, pas de mouvement vers les parloirs ou l’atelier, demande de discipline musclée), ce qui a d’ailleurs notamment pour effet de rendre les détenus plus frustrés et nerveux. La boucle est ainsi bouclée, car c’est une source de problèmes supplémentaires de violence à gérer, de dossiers disciplinaires, de pression pour que soit puni le détenu et que soit à l’inverse garantie l’impunité du personnel

Il est compréhensible qu’une organisation professionnelle défende ce qu’elle estime être les droits de ses affiliés. Mais il est malsain qu’elle en arrive à dicter la politique pénitentiaire au détriment des objectifs de réparation et de réinsertion qui devraient pouvoir être poursuivis, objectifs qui passent entre autres par plus de régime de portes ouvertes, plus de formations et d’activités hors de la cellule, etc…

Et cela devient franchement une honte pour toute une société quand l’action syndicale a non seulement pour conséquence de durcir l’aspect purement sécuritaire de la détention, mais encore de priver les prisonniers de l’exercice des droits les plus élémentaires : un droit de grève défini comme le droit d’empêcher la douche, le passage du boulanger, des enfants ou du médecin n’a plus rien d’une liberté légitime qu’il serait justifié de défendre.