En mai dernier, la presse avait abondamment relaté le programme de visite des conjoints des chefs d’État et de gouvernement accueillis à Bruxelles lors du sommet de l’Union européenne et de la réunion de l’OTAN.  Grâce à la magie des algorithmes et des recommandations de lecture sur les réseaux sociaux, les consommateurs de médias (y compris des quotidiens de références) ont été le plus souvent informés d’aspects aussi futiles que la longueur des jupes des premières dames, avec le lot de jugements que cela comporte, bien plus que des enjeux et conclusions des réunions auxquelles assistaient leur mari. Peu de médias ont d’ailleurs souligné la présence d’un first gentleman, à savoir l’époux du Premier ministre luxembourgeois. De prime abord, cela aurait pu passer pour un non-sujet ou pour des articles habituellement publiés sous la rubrique « lifestyle », mais faisant l’actualité politique vu les fonctions et responsabilités des maris. Aujourd’hui, la thématique « Première Dame » est de nouveau d’actualité, car l’Élysée a publié le 21 août la charte de transparence relative au statut de conjoint du chef de l’État tant annoncée.

Après François Fillon qui payait sa femme à ne rien faire, voilà qu’Emmanuel Macron prend le contre-pied et propose désormais de confier différentes tâches à sa femme sans la rémunérer. La charte qui vient d’être diffusée a le mérite — revendiqué — de la transparence, mais elle met également en avant le cynisme et le caractère cocasse de la situation, certainement en 2017, et certainement sous un Président qui a tenu à confier l’égalité des femmes et des hommes à une secrétaire d’État. Alors que les différences salariales sont un enjeu primordial de cette lutte pour l’égalité des genres, Emmanuel Macron consacre le bénévolat de son épouse et la confine à des missions stéréotypées féminines (handicap, éducation, santé, culture, protection de l’enfance, égalité homme-femme)…

Il faut dire que ce (non-)statut — un one shot qui n’engage que Brigitte Macron et pas les partenaires des prochains Présidents — est un pur produit bureaucratique mettant en avant le monarchisme républicain français. Tous les citoyens sont égaux, mais on confère au Président des pouvoirs qui sont dans la plupart des pays européens confiés à des parlements (cfr. Politique n°98-99). De plus, s’il est question de roi, il paraît assez traditionnel qu’il soit accompagné d’une reine. La France n’est d’ailleurs pas très moderne en matière de couple, puisqu’il est courant que la femme mariée prenne le nom de famille de son mari. Brigitte Macron ne déroge pas à cet usage, même si on se contente fréquemment de ne l’appeler que par son seul prénom (voir, par exemple, cette capture d’écran d’un compte instagram « thebrigittestyle » qui l’appelle First Lady Brigitte), ce qui est à la fois très monarchique et, hélas, le lot de beaucoup de femmes, même d’expertes, dans le cadre médiatique.

 

Comme les épouses de roi, Brigitte Macron travaillera donc sans salaire et, comme les femmes au foyer, Brigitte Macron travaillera sans sécurité sociale à son nom et sera à charge de son mari [édit: on me signale qu’en France, la sécurité sociale est universelle et que, par ailleurs, B. Macron dispose d’une pension de retraite comme enseignante]. Peut-on un instant imaginer un homme dans la même situation, à part peut-être le mari d’une reine ? Prenons l’exemple du prince Henrik du Danemark. Pour manifester son insatisfaction par rapport à son statut, il vient de refuser d’être enterré aux côtés de son épouse.

Brigitte Macron bénéficiera, elle, des services d’un directeur de cabinet et d’un chef de cabinet, mis à sa disposition par son mari. Fort logiquement, ceux-ci seront rémunérés. Il n’y a que quand le n+1 est une femme que les employés sont mieux payés que leur référente. L’argument le plus fréquent justifiant l’absence de statut et de rémunération pour la partenaire du chef de l’État est qu’elle n’a pas été élue. C’est incontestable, mais les collaborateurs du Président ont-ils été élus ? Non ! Pourtant ils sont payés pour le travail qu’ils fournissent. Brigitte Macron travaillera. Elle a un bureau, un staff et on peut supposer qu’elle ne comptera pas ses heures. Il est donc normal qu’elle soit rémunérée si elle fait le choix de travailler pour le Président.

À l’inverse, on pourrait également concevoir que la partenaire du Président français ne veuille pas participer de manière régulière aux activités de son mari et que, au contraire, elle préfère mener sa propre carrière, comme le font les maris d’Angela Merkel ou de Theresa May. Ces deux first gentlemen s’exposent peu et donc sont beaucoup moins médiatisés que ne l’ont été Cecilia Sarkozy, Carla Bruni, Valérie Trierweiler ou que ne l’est Brigitte Macron. Dans le contexte de suspicion actuel, suite aux différents scandales d’emploi fictif de proches de personnalités politiques françaises, il est plus difficilement concevable de mener de front une carrière professionnelle et une participation régulière aux activités du chef de l’État. La discrétion s’imposerait alors au partenaire souhaitant conserver son emploi, au risque de prêter le flanc à la critique. Par exemple, Cherie Blair a été soupçonnée d’avoir été payée pour participer à des levées de fonds, ce qui n’a pas manqué de faire réagir l’opposition politique soulignant que ces soupçons ternissaient l’image du 10 Downing Street.

Si cette charte française est une sorte de compromis entre la monarchie et la république, on ne peut manquer de noter qu’en Belgique, les partenaires d’hommes et femmes politiques sont rarement mis en avant et médiatisés. D’ailleurs, à de très rares exceptions c’est un non-sujet qui ne suscite pas de débat politico-institutionnel comme c’est le cas chez nos voisins. Le plus souvent les partenaires exercent leur propre activité professionnelle et évitent la visibilité, a fortiori les rôles de représentation publique (à quelques exceptions près plus récemment pour la compagne de Charles Michel). Sans doute l’existence d’une reine joue-t-elle un rôle de catalyseur. À l’instar de Fabiola ou de Paola, Mathilde se charge aujourd’hui des missions qui incombent à Brigitte Macron en France. Et on se pose peu la question du statut de la reine des Belges ; la monarchie étant traditionnellement une institution peu tournée sur la modernité. En revanche, on peut faire le pari qu’il faudra s’interroger sur le statut du partenaire de la reine le jour où Elisabeth montera sur le trône. En acceptant le postulat que ce partenaire sera un homme, va-t-on lui confier des tâches stéréotypées masculines (des visites d’usines, des rencontres avec des militaires…) ou conservera-t-il les mêmes charges que sa belle-mère à l’heure actuelle ? Ou pourra-t-on imaginer qu’il mène sa propre carrière professionnelle avec potentiellement des risques de conflit d’intérêt ou de ternir l’image de la Belgique, comme c’est déjà le cas avec certaines initiatives du prince Laurent.