Au lendemain de la vidéo de Cécile Djunga sur la négrophobie systématique qu’elle subit depuis plus d’un an, les éditos d’indignations – légitimes et nécessaires –  n’ont pas tardé à fuser. Celui de Béatrice Delvaux en particulier ne m’a pas laissé indifférent vu son titre quelque peu provocant : « Qu’avons-nous de plus nous les blancs que les autres ? Rien ».

A sa lecture, on se retrouve face aux perpétuels impensés antiracistes du « nous, les blancs » quand souvent ces derniers-ères s’aventurent à parler racisme.

Au-delà de la minimisation sémantique – qualifier de simples « dérives »  les actions de la milice raciste Schield en Vriend, la négrophobie que subit Cécile Djunga, les actes négrophobes du Pukkelpop et de la gare d’Aerschot ; et l’oubli total de l’agression islamophobe qu’a subie une jeune femme voilée à Anderlues –  nous avons droit à un champ lexical bien spécial pour déterminer les prétendues causes du racisme en Belgique.
L’éditorialiste en chef du Soir nous parle de frustrations, de ressentis, de rage et d’humiliations qui seraient les mains invisibles derrière la multiplication des actes et des propos racistes. Elle a ainsi recours aux procédés de psychologisation et d’individualisation du problème global que représente le racisme. Or ces dangereux procédés dépolitisent la lutte antiraciste, la dépossèdent de sa dimension structurelle et la noient dans un antiracisme moral – de papa – qui dure depuis plus de 30 ans et dont on récolte aujourd’hui les fruits étranges.

Ensuite viendra le paragraphe de trop, la phrase de trop.

Celle qui affirme que la responsabilité politique doit être engagée, et de pointer celles et ceux à gauche qui se tairaient sur les problèmes d’identité et d’intégration par peur de perdre des voix. Mais de quelles voix parle-t-elle au juste ? Les voix des personnes qui subissent le racisme ? Ces personnes non blanches seraient-elles, elles aussi, responsables de ce climat raciste car, sous effet du « laxisme de gauche », elles ne seraient pas assez bien intégrées ?

Sous la plume de Béatrice Delvaux, en 2018, les victimes partagent la responsabilité de la violence raciste qu’elles subissent.

Comme souvent, la grande absente de tous ces débats autour des racismes, et pourtant la plus fondamentale, reste la question du privilège blanc.

Au risque d’hérisser les cheveux de beaucoup, vous les blancs-ches – en réponse au « nous les blancs » de B. Delvaux – n’avez rien d’autre de plus que « nous, les non blancs-ches » que votre privilège d’être blancs-ches.
° Le privilège de ne pas se sentir en insécurité en la présence de la police quand on est noir-e ou arabe.
° Le privilège de ne pas devoir mentir sur son prénom au téléphone quand on cherche un appartement.
° Le privilège de ne pas se faire traiter de petite vermine d’arabe dans des cénacles universitaires ; parce que non, les classes sociales précaires et non qualifiées n’ont pas le monopole du racisme.
° Le privilège de ne pas voir son affiche électorale taguée de croix gammée quand on est candidate juive aux élections communales belges en 2018.
° Le privilège de ne pas se voir délégitimé professionnellement sous prétexte qu’on devrait notre poste d’animateur radio à la politique des quotas quand on est arabe.

Difficile de ne pas saluer les réactions positives de la RTBF suite à la vidéo de Cécile Djunga, notamment à travers le clip où l’on voit différent-e-s journalistes et animateurs de la chaîne publique soutenir leur collègue. Mais quelle ne fut pas la surprise générale en découvrant le plateau 100% blanc de l’émission « A votre avis » sur la RTBF pour traiter la question du racisme à peine quelques jours après la diffusion de cette vidéo. Il s’agissait ni plus ni moins d’une sorte de remake symbolique et contemporain, 60 ans après, du zoo humain de l’exposition universelle à Bruxelles de 1958. Une mise en scène tragicomique mais très représentative de l’état de l’inculture antiraciste en Belgique aujourd’hui. Dans cette émission, on demande aux blancs-ches, situé-e-s au centre du plateau, de mobiliser leurs expertises et leurs savoirs au moment où les personnes non-blanches devaient se contenter de produire des témoignages. Non pas que les témoignages ne soient pas importants, mais nombreux et nombreuses sont les racisé-e-s qui peuvent produire aussi des analyses, des réflexions et surtout des alternatives politiques pour la lutte antiraciste.

Il est temps que les personnes jouissant de privilèges pensent contre elles-mêmes, se décentrent et prennent conscience de leurs positions de dominations de classe, de genre et de race. C’est un travail difficile car l’expérience de la domination semble naturelle, évidente et universelle quand on en bénéficie.

« La Belgique de papa a vécu » disait Gaston Eyskens en 1970.
Il avait tort, parce que la Belgique de papa existe toujours et papa était déjà blanc à l’époque, il l’est toujours aujourd’hui, et vu le pain sur la planche que nous avons, il le sera encore pour quelques années.

Des quotas pour lutter contre le racisme structurel ? Lire « Quotas de femmes et quotas ethniques : dernier tabou avant l’égalité«