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« Médecine pour le peuple » et le PTB

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Dans le dossier du n°101 de Politique « Pour une gauche médicale », Sofie Merckx présentait Médecine pour le peuple (MPLP), le réseau des maisons médicales liées au PTB. Cette présentation a fait réagir Georges Bauherz, lui-même médecin et un des coordinateurs du dossier. Il était prévu que Sofie Merckx aurait la possibilité de lui répondre, mais le temps lui a manqué. Elle le fait ici.

On trouvera ci-dessous :

1. Des extraits de la contribution de Sofie Merckx au dossier « Pour une gauche médicale »,

2. La plus grande partie de la réaction de Georges Bauherz,

3. La réplique que Sofie Merckx nous a fait parvenir.

1. Sofie Merckx : les liens avec le PTB

[…] Au-delà des soins, chaque maison médicale est un centre d’action lié au PTB. […] Médecine pour le peuple a résolument choisi son camp : chaque centre médical est aussi un centre d’action politique. Pendant la consultation, nous ne pouvons pas toujours agir sur les facteurs qui influencent la santé. Par contre, nous pouvons « renforcer » le patient dans sa capacité à agir. Ainsi, dire à un chômeur qu’il n’est pas seul à subir de multiples échecs et lui expliquer le chômage de masse comme phénomène économique peut avoir un effet libérateur.[…]

MPLP et le PTB sont nés à la même époque. Nous avons pu résister aux attaques des premières années grâce au soutien de nos patients, de nos amis et aussi grâce à cette force organisationnelle qu’est le PTB. Comme on dit : « On peut briser un doigt, mais pas les doigts qui forment un poing. »

Avec nos maisons médicales, nous mettons en pratique notre conception de la santé pour tous. Nous ne cachons pas notre lien avec le PTB. […] Mais Médecine pour le peuple est une association plus large que le PTB. L’ensemble de nos patients représente toute la diversité culturelle, religieuse et politique de notre société.

Bien des médecins et d’autres collaborateurs de MPLP s’engagent politiquement au sein du PTB. Dans de nombreuses maisons médicales, des médecins ou d’autres collaborateurs de Médecine pour le peuple ont été élus conseillers communaux ou députés sur des listes PTB. […] Depuis que le PTB a également des élus au niveau fédéral, cette action porte encore plus loin. Le dernier exemple en date est notre action qui faisait suite à la décision du gouvernement belge d’augmenter le prix des médicaments. Nous sommes partis du vécu des patients qui ont du mal à payer leurs frais médicaux. Nous avons invité les patients à témoigner de leurs difficultés en envoyant des cartes postales à la ministre de la Santé. Nous sommes allés les livrer nous-mêmes au cabinet. Dans le même temps, nous avons travaillé avec le PTB à une alternative : le modèle kiwi pour les médicaments. Nous avons emmené 500 personnes aux Pays-Bas pour y chercher des médicaments moins chers. L’action a été largement relayée dans les médias et au Parlement fédéral par les députés du PTB. Grâce à cette mobilisation, nous pesons, ensemble avec nos patients, sur les décisions politiques. Et la grande majorité des patients nous soutiennent. […]

2. Georges Bauherz : le pouvoir du médecin de gauche

L’article de Sophie Merckx me laisse sur ma faim. L’activité de Médecine pour le peuple est décrite avec franchise […]. On aimerait cependant des précisions sur ce qui fait la singularité de MPLP comparé aux autres maisons médicales, et presque figure d’exception européenne, et qui est résumé dans la phrase « chaque maison médicale est un centre d’action lié au PTB ». […]

Faire de la pédagogie au cours de la consultation, en « expliquant le chômage de masse comme phénomène économique » peut certes avoir « un effet libérateur ». Mais n’est-ce pas aussi user de son statut de pouvoir, celui du médecin ou du thérapeute, pour faire passer le message et risquer de confondre les rôles et d’affaiblir en même temps le rôle du médecin et celui du militant ? N’est-ce pas un comportement en miroir de celui du médecin « classique » qui, en individualisant à l’extrême les problèmes de santé, produit un discours qui occulte les inégalités comme causes de certaines pathologies et participe à reproduire l’acceptation du système social existant ?

Surtout, la création de MPLP a eu lieu à un moment où le PTB s’appelait Amada-TPO et était un parti dont le caractère stalinien était déclaré avec ostentation. Dans cette conception, le parti révolutionnaire était l’expression unique et accomplie de la volonté populaire et la création d’organisations culturelles, sanitaires ou autres, liées au parti ne posait pas de problème théorique. Mais quelle sont les relations, avant et aujourd’hui, entre le parti et MPLP ? Des rapports de collaboration, de subordination, de manipulation ? MPLP n’est-elle qu’une courroie de transmission, une « organisation de masse » (pour rester dans le jargon ancien) dont la fonction principale est de recruter pour le parti ? La Belgique, c’est vrai, a une longue expérience des piliers, des « Actions communes » où cohabitent parti, syndicat, mutuelle, organisations diverses, polycliniques et hôpitaux et où les relations entre ces structures sont troubles, poreuses et hiérarchisées. Mais certainement pas exemplaires.

Aujourd’hui que le PTB se flatte d’avoir jeté son sectarisme aux orties et n’aspire plus au monopole de l’avenir socialiste de la Belgique laborieuse, l’existence d’une organisation médicale liée au seul PTB a-t-elle encore du sens ?

3. Sofie Merckx : MPLP, le PTB et la pédagogie des opprimés

Dans mon article j’ai essayé de manière succincte de décrire les raisons politiques qui font qu’au delà des soins nous militons politiquement.

L’empowerment en médecine est le pendant de ce que la pédagogie des opprimés développé par Paolo de Freire est à la pédagogie classique. Freire oppose la pédagogie des opprimés à la conception de l’éducation où l’enseignant déverse un « dépôt » dans l’esprit de ses élèves. Il y a celui qui possède le savoir et ceux qui en sont dépourvus. Tant que le pédagogue reste dans cette posture, l’éducateur, même sincère, perpétue l’oppression.

À MPLP, nous considérons les patients comme des personnes à part entière capables de réfléchir de manière critique. Nous avons une vision émancipatrice et pas paternaliste de la relation médecin-patient.

Cela rejoint la vision du PTB à ce sujet : «Le PTB est différent. Notre discours est : « Prenez votre sort en mains, organisez-vous, étudiez et (in)formez-vous, mobilisez-vous.” » (Congrès du PTB, 2015).

Présenter MPLP comme une organisation dont l’unique but serait de recruter pour le PTB ou d’aider le PTB dans son assise électorale ignore le caractère même d’un parti comme le PTB qui se définit comme un parti pour qui l’action parlementaire est largement subordonnée au travail sur le terrain et en faveur d’un large mouvement social d’en-bas.

La sécurité sociale, les congés payés, la réduction du temps de travail, la gratuité de l’enseignement, le droit de vote… rien n’est tombé du ciel. Tous ces droits sont le résultat de combats sociaux et démocratiques. Et, pour arracher ces conquêtes, il a fallu un haut degré de conscience et de larges mobilisations sociales au sein de la population.

MPLP s’inscrit avec fierté dans cette tradition émancipatrice de lutte et invite les patients à y prendre part. C’est dans la lutte sociale que la collaboration entre le PTB et MPLP s’opère.
Cette collaboration n’est pas un sens unique. Beaucoup de nos collaborateurs et bénévoles n’ont pas de lien avec le PTB.
Prenons l’exemple du modèle Kiwi. La campagne que MPLP mène dans ses maisons médicales renforce la lutte globale contre les mesures prises par la ministre libérale De Block. En parallèle, l’idée du modèle Kiwi – une idée lancée par quelques médecins de MPLP – touche un public qui dépasse largement les maisons médicales. Ceci à travers l’aide du service d’étude du PTB et surtout le soutien actif de très nombreux membres du PTB qui récoltent du soutien à cette idée dans les quartiers et les usines.

Le PTB et MPLP n’ont pas le monopole de la lutte sociale, nous travaillons et luttons tous les jours avec le plus grand respect avec des personnes qui s’engagent aussi au quotidien et qui le font d’une autre façon. L’actuelle génération qui porte MPLP et le PTB a le défi de s’adapter, mais notre travail ne doit pas pour autant être moins politique ou moins mobilisateur. La lutte pour une société plus juste passera par une expression très large et variée, où chacun s’engagera selon ses convictions et où au sein de ce large mouvement le débat d’idées permettra de le renforcer davantage.