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“Macronite” et “mélenchonite” à la belge

C’est bien connu : quand Paris s’enrhume, Bruxelles, Charleroi et Liège toussent. Avec la séquence électorale française qui envahit tout leur espace médiatique, on pouvait s’attendre à ce que ses péripéties donnent des idées aux Belges francophones. On n’est pas déçu.

Ce qui est intéressant, c’est tout autant le mimétisme que le décalage. Car, comme on le relevait ailleurs, « nos deux sociétés, telles que l’histoire les a façonnées, sont aussi dissemblables que possible. […] La langue partagée et les mythes qu’elle charrie nous rapprochent de la France. Tout le reste nous en sépare ».

Ainsi, quand on interrogeait les responsables politiques belges francophones sur leur préférences, leur avis n’était pas forcément en concordance avec celui de leurs correspondants français. Alors que Fillon, auquel Sarkozy s’était rallié, caracolait en tête de la primaire de la droite – et donc avant que le Penelopegate ne coule définitivement sa candidature –, les leaders du Mouvement réformateur, allié de toujours de l’UMP et de son successeur, accordaient dans leur grande majorité leurs faveurs à Alain Juppé. Sans doute le positionnement quasi thatchérien du député de la Sarthe semblait contradictoire avec la volonté du MR de ne pas renoncer ici à la « grande coalition » avec le PS, telle qu’elle est déjà expérimentée à de nombreux endroits du pays, comme à la ville de Bruxelles ou à la province de Liège. Mais, surtout, les libéraux wallons et bruxellois ne pouvaient être en phase avec son profil catholique conservateur. La Belgique est beaucoup plus urbanisée que la France et donc beaucoup plus profondément acquise au libéralisme culturel. Ici, malgré l’existence de partis chrétiens, le mariage homosexuel est passé en 2003 comme une lettre à la poste, là où la France a connu le psychodrame qu’on sait.

Quant aux leaders socialistes, ils ont en majorité soutenu Benoît Hamon à la primaire organisée par le PS, tant le quinquennat Hollande était massivement considéré au sein du PS local comme un repoussoir. Hamon pu notamment compter sur le soutien très engagé de Paul Magnette, ministre-président de Wallonie, qui participa à son premier grand meeting de campagne, à Bercy. Seul l’ancien ministre-président bruxellois Charles Picqué ne fit pas mystère de ses préférences pour Manuel Valls.

Juppé perdit une primaire théoriquement imperdable, ce qui dégagea un espace au centre. La campagne d’Hamon, plombée par un PS « solférinien » qui le soutenait comme la corde soutient le pendu, ne décolla jamais. Toutes les cartes étaient rebattues.

Macron l’ovni

En France, l’émergence, puis la réussite de Macron allaient donner un coup de vieux à des formations qui, du coup, étaient bien forcées de s’interroger sur leur avenir. En Belgique aussi, de nombreux partis prirent le train en marche en tentant de s’accrocher à son char. Le MR était naturellement « macroniste », puisque Macron reprenait dans les grandes lignes le positionnement « patronal modéré » d’Alain Juppé, sans les casseroles d’un parti devenu encombrant. L’adhésion de son parti au groupe européen de l’ALDE ne pouvait qu’encourager cette identification. Le CDH, au centrisme congénital et proche de François Bayrou, était évidemment aux anges. Enfin, le parti bruxellois Défi s’est immédiatement positionné comme le plus « macroniste » de tous, se retrouvant parfaitement dans la synthèse gauche-droite professée par le nouveau Président de la République.

Curieusement, aucune tendance « macroniste » ne s’est jusqu’à présent manifestée au sein du PS. La concurrence avec le PTB qui le menace désormais sérieusement sur sa gauche lui interdit toute complaisance sur son flanc droit. En revanche, une figure historique d’Ecolo, à savoir l’ancienne vice-Première du gouvernement fédéral (1999-2003) Isabelle Durant, ne dissimula pas sa sympathie pour le candidat Macron dont l’écologie semble pourtant le cadet des soucis. Pour cette ancienne vice-présidente du Parlement européen, par ailleurs cofondatrice du groupe Spinelli avec Daniel Cohn-Bendit (autre soutien de Macron) et le libéral Guy Verhofstadt, président de l’ALDE, l’engagement européen sans faille d’Emmanuel Macron semble primer sur toute autre considération. Précisons que personne d’autre, au sein d’Ecolo, ne l’a suivie sur ce terrain, du moins avant le premier tour et de façon aussi démonstrative.

Du coup, les médias ont relancé le bruit d’un nouveau « parti du centre » sur le modèle de « En marche ». Ce parti rassemblerait trois formations – le CDH, Défi et Écolo – qui stagnent en-dessous de la taille critique nécessaire pour peser dans l’arène politique et n’ont guère de réelle perspective de la dépasser. Jusqu’à ce jour, tout le monde dément, avec une conviction variable. L’avenir dira s’il s’agit d’un bobard ou d’un ballon d’essai.

Mélenchon le tribun

À gauche, le succès imprévu du candidat de la « France insoumise » trouble les uns et donne des ailes aux autres. Trouble au PS, bien sûr, qui se retrouve coincé entre deux options victorieuses (Macron et Mélenchon) et qui ne peut se permettre de n’en suivre aucune. Trouble à Écolo, dont la coprésidente Zakia Khattabi, interrogée sur ses préférences, avait maladroitement exclu toute proximité avec Mélenchon. Pourtant, sur les réseaux sociaux, de nombreux sympathisants écologistes ont été conquis par le dynamisme de la campagne du candidat de la « France insoumise » et ont salué son succès.

Mais c’est évidemment du côté du PTB que Mélenchon a glané ses principaux encouragements. Il y a en effet beaucoup de points communs entre la mouvance de la « France insoumise » et celle qui se déclare prête à voter PTB, qui l’une et l’autre donnent corps à un certain « populisme de gauche » rebattant les cartes du clivage gauche-droite traditionnel. Cela fait d’ailleurs des années que le PTB s’adresse aux « gens », un terme qui est entré dans les « éléments de langage » utilisés par Mélenchon pour la première fois au cours de cette campagne.

Malgré ces points communs, le PTB n’est pas « mélenchonien » de stricte observance. Normal : ces deux courants sont les héritiers de deux traditions radicalement différentes, voire opposées. D’ailleurs, à part pour un quarteron très actif sur les réseaux sociaux de « mélencholâtres » intégraux que la moindre critique à l’égard de leur lider maximo met en transe, Mélenchon a glané de la sympathie pour son positionnement radical sur quelques questions (Europe, inégalités sociales) sans que cette sympathie n’implique une approbation de toutes les facettes de la « France insoumise ». De fait, peu de personnes en Belgique ont des affinités avec les accents cocardiers de « Méluche », avec son adoration du drapeau français et sa référence obsessionnelle à la Grrrrande révolution de 1789. Par ailleurs, le PTB, comme d’autres, a pris ses distances vis-à-vis du « laïcisme » ombrageux du candidat. Enfin, on peut admirer le talent du tribun sans forcément être tout à fait à l’aise avec sa posture d’homme providentiel très « Cinquième République » (la « rencontre d’un homme et d’un peuple ») alors qu’en même temps on fait campagne pour en sortir.