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L’extrême droite partout

Au-delà des définitions savantes de l’extrême droite que l’on trouvera dans une abondante littérature scientifique, il faut faire une différence entre ce qui relève des idées, et plus globalement ce qui relève d’un programme politique, ce qui concerne les pratiques, et plus particulièrement les actes politiques, et enfin ce qui dépend des hommes et des femmes, de leurs histoires personnelles, de leurs relations… Il existe des individus qui ont des idées d’extrême droite sans avoir le moindre contact avec l’extrême droite organisée et qui ne souhaitent poser aucun acte visant à appliquer leurs idées sur le terrain. Il y a des gens qui ne sont pas d’extrême droite mais dont l’entourage, l’histoire personnelle, les amitiés ou l’appartenance à l’un ou l’autre parti les rend suspects. Et il y a des gens au-delà de tout soupçon qui appliquent concrètement, lorsqu’ils sont parlementaires ou ministres, un programme d’extrême droite. On jugera l’homme d’extrême droite sur ses idées, son parcours et ses actes, et on sera très attentif à la récurrence, c’est-à-dire au caractère exceptionnel ou régulier de ses prises de position, de ses idées et de ses propos dans les domaines marqués à l’extrême droite (croyance en l’inégalité entre les cultures, les peuples, les nations…, obsession de la nation comme rempart contre l’ennemi, radicalisme dans les actes et les propositions…). Indiquer que l’immigration pose problème ou que l’intégration est un échec ne fait pas de vous un homme ou une femme d’extrême droite, mais si vous ne parlez que de cela en permanence, vous devenez suspect, à juste titre ! Comme ceux qui font tout le temps des blagues racistes. Depuis une quinzaine d’années, on s’interroge sur le label d’extrême droite et sur les partis qu’il faut labelliser comme tel. La tâche est difficile car les gens qui sont d’extrême droite ont pris l’habitude d’adapter leur discours pour éviter d’éveiller les soupçons. Aujourd’hui, quiconque parlerait de race se ferait immédiatement ostraciser. Au mieux on parle de « culture rétrograde », de « religion moyenâgeuse », de « pratiques d’un autre temps »… La tâche est difficile car ceux qui avaient des liens personnels ou historiques avec les fascismes de l’entre-deux-guerres ont presque tous disparu. Et leurs enfants ne cherchent pas vraiment à faire de la politique ou simplement à faire parler d’eux. Enfin, la tâche est difficile parce que les partis traditionnels ont mis en œuvre de nombreuses propositions d’extrême droite. Ils ont accepté et légitimé l’idée qu’on puisse enfermer quelqu’un dont le seul tort est de ne pas avoir de papiers en règle. Ils ont accepté qu’on expulse de façon brutale ceux qui n’obtiennent pas le droit d’asile. Ils ont développé une sorte de fierté à démontrer l’efficacité des centres fermés et des rapatriements forcés. Ils ont considéré comme un progrès de diminuer les dépenses liées à l’immigration. Ils ont fini par considérer que le migrant était suspect et qu’il devait dès lors suivre un cours de citoyenneté pour lui rappeler qu’il a des devoirs, que le migrant était un paresseux et qu’il devait chercher du travail, qu’il ne voulait pas s’intégrer et que donc il devait obligatoirement apprendre le français. L’idée que le migrant est un profiteur a également fini par s’imposer comme en témoigne la substitution d’une aide matérielle à une aide financière dans de nombreux dispositifs d’intégration sociale. Dans les années 1980, toutes ces propositions se trouvaient dans le programme du Front national de Jean-Marie Le Pen, puis, un peu plus tard dans celui du Vlaams Blok en Flandre[1.Lire à ce sujet l’excellent entretien avec Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l’Homme, dans La Libre Belgique du vendredi 13 février 2015.].