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L’ethnie flamande

On peut spéculer longtemps sur l’avenir de la Belgique et sur l’issue des négociations en cours, on peut imaginer toutes sortes de scénarios, et même penser à l’organisation de nouvelles élections, mais au-delà de tout ce qui précède, l’avenir reste fondamentalement incertain. Il est difficile de prédire ce qui nous attend même si une chose est sûre, et à bien des égards, pour sa part, totalement prévisible : quoi qu’il arrive, beaucoup de Flamands se percevront comme des perdants dans toute cette affaire ! Et il y a fort à parier qu’ils cultiveront encore pendant très longtemps le ressentiment ! Il ne s’agit pas ici d’indiquer qu’ils seront concrètement et réellement les victimes de ce qui va advenir, car rien n’est moins sûr, et surtout, c’est quelque chose de très difficile à évaluer et qui repose sur des critères subjectifs et normatifs, mais il est certain en revanche que leur sentiment d’injustice et de révolte vis-à-vis des francophones sera encore plus fort à l’issue de la crise et que le résultat des accords – quel qu’il soit – sera perçu comme une nouvelle farce et une nouvelle humiliation. Ce n’est pas le contenu des nouvelles réformes de l’État, ce n’est pas la nouvelle clef de répartition des richesses du pays, ce n’est pas la liste des domaines préservés à l’issue des négociations qui poseront problème aux Flamands, c’est la nature même de leurs attentes qui par définition sont inaccessibles. Dans cette nature qui s’affiche aujourd’hui au grand jour, un peu comme un fil conducteur transparent qui animerait la vie politique, on trouve quelque chose qui ressemble de plus en plus à une identité négative, c’est-à-dire à une identité qui s’alimente essentiellement grâce aux autres identités, que celles-ci existent ou non n’ayant d’ailleurs aucune importance. Une identité négative n’existe que dans l’identification, la localisation, le dénigrement, la peur et finalement le rejet des identités prétendument différentes. Le caractère négatif provient du fait qu’il faut nier l’autre pour s’affirmer soi-même. Il n’est pas nécessaire de vivre en Flandre pour comprendre dans quelle mesure la figure négative du francophone structure l’identité flamande.

Quel que soit notre destin, les Flamands se percevront comme les perdants à l’issue de toutes ces tractations.

Si tous les peuples ont besoin de temps à autre de se « rappeler à l’ordre » en montrant du doigt les autres peuples et les frontières entre les uns et les autres, on franchit un pas lorsque l’autre devient obsédant au point de structurer la vie politique. Pour le dire autrement, si par magie il était possible de créer en quelque mois un État flamand indépendant, libre, homogène et autonome, il est probable que très rapidement de nouveaux ennemis fassent leur apparition et alimentent à nouveau le ressentiment. L’identité négative est une structuration polémique de l’identité, elle est insatiable et en cas de rupture avec les francophones, d’autres ennemis verront le jour : les Flamands paresseux typiques de telle ou telle province, les faux Flamands qui parlent le français, les étrangers qui ne s’imprègnent pas assez de la culture flamande, les élites européennes cosmopolites… Ce n’est pas les nouvelles réformes de l’État, ce n’est pas la reconsidération des mécanismes de transfert entre l’État fédéral et les entités fédérées, ce n’est pas la liste définitive des revendications flamandes acceptées par les francophones qui poseront problème aux Flamands, c’est la nature même de leurs attentes qui sont irréalisables. Elles sont illusoires parce qu’elles relèvent de l’identité négative, mais aussi parce qu’elles sont animées par un fantasme de pureté inévitablement utopique. Rêver d’une homogénéité culturelle, linguistique et ethnique en France ou en Allemagne au début du siècle dernier était déjà une utopie, imaginer une telle pureté en 2010 au sein de l’Union européenne (de plus en plus intégrée), et après 60 ans de flux migratoires massifs (intérieurs et extérieurs) relève tout simplement du phantasme. Sans parler du danger que peut représenter ce dernier ! Il est évident que tous les Flamands ne pensent pas « rejet de l’autre et pureté », mais il est aussi évident que ces deux logiques sont déterminantes dans la structuration du débat politique et qu’elles visent des objectifs totalement irréalisables. Ainsi, quel que soit notre destin, les Flamands se percevront comme les perdants à l’issue de toutes ces tractations, et il y a fort à parier qu’ils cultiveront encore pendant très longtemps, et encore plus, le ressentiment. C’est la seule chose qui est sûre aujourd’hui.