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Les itinéraires de René De Schutter

«Tuoro, commune denuclearizatto» : c’est sur les rivages du lac Trasimène que s’est éteint un homme à part, souriant, chaleureux, attaché viscéralement aux valeurs d’égalité et de solidarité. Passionné par la culture de gauche italienne, René De Schutter, ami du leader syndical Bruno Trentin, n’a cessé d’y trouver, durant toute sa vie, des ressources pour la réflexion et pour l’action sur sa propre praxis. Il la considère comme «une culture autre qui se nourrit de Marx au départ – un Marx pas figé, pas embaumé, pas instrumentalisé au bénéfice du dogme – et puis s’enrichit de Gramsci. Ses racines la rendent capable de faire sans cesse «l’analyse concrète des situations concrètes»; ces situations , il ne s’agit pas seulement de les analyser, mais aussi de les transformer» L’Italie à gauche-Anthologie d’un autre discours politique, Bruxelles,2000. Entré au service d’études de la FGTB à la veille des grèves de 1960-61, il est partisan des «réformes de structures»et de l’autonomie du mouvement syndical. Élu en 1966 secrétaire régional de la FGTB Bruxelles, il y développe pendant une décennie une conception et une pratique collective originale de l’action syndicale interprofessionnelle, en ce y compris une approche de la question urbaine. Il lutte pour les droits de tous les travailleurs, qu’ils soient d’origine étrangère ou non. Tentant (sans succès) de créer avec l’ULB une véritable «Université ouvrière», il accordera une attention particulière à la formation syndicale interprofessionnelle, où chaque point est resitué dans la mémoire collective du mouvement ouvrier et dans le rapport de forces qu’il faut créer pour obtenir des avancées. «Il fallait donner aux travailleurs des armes idéologiques qu’ils puissent utiliser. Et ces armes ne pouvaient pas seulement être des textes. Elles devaient être articulation d’une pratique de lutte des masses et d’une réflexion théorique…Aujourd’hui , la seule vraie question est là :faire ou non confiance aux masses, non pas comme instrument mis périodiquement à la disposition des dirigeants, mais comme axe de la pratique quotidienne…» 10 ans de textes à l’intérieur du syndicat, Contradictions,Bruxelles,1978. Écarté brutalement de ses fonctions, et après avoir envisagé un moment de s’investir aux côtés d’une grande municipalité de gauche en Italie du Nord pour redessiner la cité autrement, René De Schutter fonde en 1978, le Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA) avec plusieurs militants syndicalistes et tiermondistes. «Au fond, pour nous, il n’y avait pas de fin de l’histoire possible au-delà de l’avènement d’une société sans classes, fraternelle, qui mettrait fin définitivement au pouvoir de l’argent, une société où tout le monde compte, où tout le monde a son mot à dire et personne n’est exclu. En ce sens, nous étions, un peu contradictoirement, à la fois «rousseauistes», confiants dans la bonne nature de l’homme, «illuministes», confiants dans le progrès continu, et «gramsciens», c’est-à-dire «pessimistes de la raison et optimistes de la volonté» Et maintenant, préparons le 50ème anniversaire du GRESEA, GRESEA-Echos,n°42-juin 2004. René De Schutter est à l’origine de la campagne «Gattastrophe» dans les années nonate, altermondialiste avant l’heure, dans une stratégie d’union la plus large possible. Pour lui, il n’y avait pas lieu de mépriser les petits pas, les petites victoires : elles permettaient à chaque fois un renforcement de la classe des travailleurs. L’ambition du GRESEA était d’être un «intellectuel collectif» visant l’hégémonie dans un certain nombre de thèmes, et visant à organiser l’action vers le changement. De Schutter citait Claudio Magris : «Les brumes du futur qui planent sur nous exigent un regard dont la myopie, quoique inévitable, soit un peu corrigée par l’humilité et l’auto-ironie. L’utopie, c’est savoir que le monde, comme dit un vers de Berthold Brecht, a besoin d’être changé et sauvé…L’utopie donne un sens à la vie, parce qu’elle exige contre toute vraisemblance que la vie ait un sens…» C.Magris, Utopie et désenchantement, L’Arpenteur,2001. Ne jamais séparer la pensée et l’action. Combattre pied à pied pour plus de solidarité. C’est l’héritage précieux et vivant de René De Schutter.