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« L’enfant ne doit jamais être mis en échec »

L’échec scolaire et le rejet des enfants handicapés du système d’enseignement classique font réagir la Ligue des droits de l’enfant, qui lance un projet d’école nouvelle à Bruxelles. Ce sera une école sans échec, sans redoublement, avec un tronc commun jusqu’à 16 ans et des enfants handicapés.

Entretien avec Jean-Pierre COENEN
instituteur et président de la Ligue des droits de l’enfant

Quelle est l’origine du projet «École pour tous » et leurs auteurs ?

Jean-Pierre Coenen : Le projet est né dans le cadre des plateformes « Lutte contre l’échec scolaire »[1.La plateforme de lutte contre l’échec scolaire est composée de différentes associations, des syndicats de l’enseignement et de personnalités du monde académique. La plateforme de lutte contre l’échec scolaire a été initiée par la Ligue des droits de l’enfant le 1 septembre 2003.] et « Intégration scolaire » [2.www.ligue-enfants.be] qui vise l’intégration des enfants handicapés dans les écoles ordinaires[3.L’intégration (ou mieux, l’inclusion) des élèves « à besoins spécifiques » dans l’enseignement ordinaire est spécialement favorisée par un décret de 2009.]. L’initiative regroupe dès le départ des scientifiques du domaine de la pédagogie, des militants d’associations socio-pédagogiques, le Délégué général aux droits de l’enfant, des associations s’occupant de jeunes, des enseignants… Par ailleurs, la nécessité, pour la Communauté française, de créer plus de 23 000 places supplémentaires en Région bruxelloise d’ici 2014[4.Ch. Picqué, La Libre Belgique, 24 mars 2010.] pour répondre à l’évolution démographique, est un incitant pour accélérer le démarrage du projet.

Quels sont les points clés du projet qui le différencient d’un enseignement classique ?

Jean-Pierre Coenen: D’une part, l’organisation d’une structure unique de la maternelle à la fin du secondaire, avec un tronc commun jusqu’à 16 ans, sans échec et sans redoublement. Et d’autre part le caractère inclusif de l’école, à savoir l’intégration de tous les enfants dans une même école, y compris les enfants dits « à besoins spécifiques » ou handicapés. Au-delà de ce caractère inclusif, l’école veut évidemment s’adresser à tous les milieux sociaux et culturels. Une réelle mixité sera un critère de réussite du projet. Et il est évident qu’il faudra veiller à ce que le caractère novateur de l’école n’attire pas une majorité d’enfants de milieu plus (culturellement) favorisé.

La mixité sociale est-elle un objectif ou un simple moyen d’atteindre une plus grande égalité des chances ?
Jean-Pierre Coenen : L’hétérogénéité doit être source de résultats intéressants. La diversité doit être exploitée comme une ressource pédagogique. La base est une pédagogie de coopération [5.Par opposition à une pédagogie de compétition.], basée sur les projets individuels d’apprentissages (PIA). Grâce au tutorat, chacun devient formateur (les « grands » par rapport aux plus petits ou les pairs entre eux) en même temps qu’il est apprenant (y compris le personnel éducatif). L’enfant ne doit jamais être mis en échec, l’erreur est source d’apprentissage et participe au développement de chacun.

Vous insistez également sur le caractère polyvalent de la formation et l’ouverture vers les associations.
Jean-Pierre Coenen : L’enseignement au niveau secondaire s’inscrira dans la technique de transition. La formation doit permettre à chaque enfant, à 16 ans, de pouvoir réellement choisir ses études ultérieures. L’ouverture vers l’extérieur (l’extra- scolaire) est également fondamentale, tant dans l’échange de savoirs que de la mise à disposition des locaux de l’école. Sans oublier les parents qui doivent être de réels partenaires dans la définition du PIA de leur enfant.

Qu’en est-il des langues qui sont souvent mises en avant (l’immersion) dans les écoles à pédagogie active ?
Jean-Pierre Coenen : Il s’agit plus d’exploiter les langues, y compris les langues natives, pour accéder au français et pour favoriser la communication.

Quel est le sens de la présence de professeurs d’universités dans l’équipe porteuse du projet ? Jean-Pierre Coenen : Il est essentiel que l’expérience pilote se déroule dans le cadre d’une recherche- action et avec l’aide des opérateurs de formation que sont les universités et hautes écoles. L’objectif est clairement que l’expérience soit reproductible ailleurs. Il existe d’ailleurs déjà une demande en ce sens.

Avez-vous déjà une idée du lieu d’implantation de cette future école ?
Jean-Pierre Coenen : Elle devra nécessairement, notamment pour atteindre la mixité souhaitée, se trouver sur la ligne frontière de la fracture sociale à Bruxelles, ou dans une zone du croissant pauvre [6.Territoire en forme de croissant situé en bordure du centre de Bruxelles et comprenant des parties de Forest, Saint-Gilles, Anderlecht, Molenbeek, Schaerbeek et Saint-Josse. (NDLR)…] Il s’agit évidemment de trouver une friche industrielle susceptible d’accueillir une nouvelle école.

Et organisationnellement ?
Jean-Pierre Coenen : Rien n’est encore définitif, mais le pouvoir organisateur sera probablement une asbl, avec un comité d’accompagnement. Nous devrons choisir un réseau mais nous sommes ouverts à tous. Notre école doit être reproductible dans tous les réseaux. La piste d’une structure d’asbl permettrait d’engager du personnel motivé par le projet et qui prestera l’essentiel de son temps de travail à l’école, en équipe.

Un tel projet est-il financièrement viable ?
Jean-Pierre Coenen : Au niveau du fonctionnement, nous voulons vivre avec le subventionnement accordé par la Communauté française en fonction de notre population scolaire[7.Le subventionnement est actuellement différencié. Chaque école reçoit des moyens en fonction de sa population scolaire.] Par ailleurs, l’inclusion d’élèves handicapés se traduit par des heures supplémentaires conformément aux heures accordées en école spécialisée. Bien sûr, ce sera difficile vu nos exigences et nous pourrions essayer de négocier une récupération du coût occasionné par ailleurs par le redoublement[8.En 2007-2008, l’échec scolaire a généré un surcoût d’environ 370 millions d’euros dans l’enseignement obligatoire ordinaire de plein exercice. (Indicateur 2009 de l’enseignement)]. Le problème financier réside donc dans le bâtiment. Nous nous tournerons vers le mécénat et répondons actuellement à un appel à projet de la Région bruxelloise qui couvrirait 70% des frais de la construction. Il faut noter que notre projet est apprécié par tous les ministres concernés, enseignement, bâtiments scolaires, Région bruxelloise. Avec un peu de chance, nous pourrons démarrer en septembre 2012 par les classes maternelles, primaires et la première année du secondaire. Au pire, ce sera en septembre 2013.

Propos recueillis par Jos Beni.