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Le vrai visage de Facebook

[Texte paru dans le n°105 de Politique, septembre 2018 – « La chronique américaine de Jérôme Jamin« ]

11 avril 2018 : Mark Zuckenberg présente ses excuses au Sénat US

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En essayant de régler plusieurs problèmes graves qui nuisent à son image et à sa valeur en bourse, la société Facebook est en train de creuser partiellement sa propre tombe. Accusée de ne pas avoir le contrôle de son pouvoir faramineux, associée à des milliers de faux utilisateurs qui ont pesé sur les comportements électoraux lors des élections présidentielles de novembre 2016 aux États-Unis, incapable de répondre à certaines questions fondamentales devant les membres du Sénat américain, l’équipe dirigeante de Facebook est en très mauvaise posture !
Et tout le monde se lasse des excuses, des excuses et encore des excuses !

Dos au mur, le patron Mark Zuckerberg ressemble plus à un enfant qui ne comprend pas ses propres bêtises qu’à un capitaine de multinationale qui a toujours trois ou quatre coups d’avance sur les autres. Cela a été particulièrement visible ces derniers mois, notamment lorsque Zuckerberg a annoncé fièrement que ses services avaient identifié « des manoeuvres coordonnées » pour influencer l’opinion publique états-unienne à l’approche des élections de mi-mandat du 6 novembre 2018, élections qui concernent les 435 sièges de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat (composé de 100 sièges). Facebook a annoncé que des dizaines de comptes ont, depuis lors, été supprimés mais la société reste vague sur les auteurs, leurs origines, leurs opinions et leurs objectifs. Pourquoi ? Parce que Facebook est de plus en plus dans une posture éditoriale, tout en refusant de l’admettre. Elle est de moins en moins une plateforme « neutre » en termes de contenus. Elle ne l’a jamais été, mais maintenant cela se voit, et ce n’est pas bon pour la rentabilité du réseau !

La ligne éditoriale de Facebook est complexe et ne se résume nullement à un algorithme. Elle tolère le racisme, relaie beaucoup de théories du complot mais supprime le droit de « poster » dans le chef de certains conspirationnistes, refuse des images associées au sexe – y compris par exemple un buste de l’antiquité représentant une femme nue –, cherche à ne pas prendre position par rapport au négationnisme et s’attaque à certains faux profils s’ils concernent la vie politique américaine récente ou future. La ligne éditoriale de Facebook vise également à renforcer l’opinion et les goûts de l’utilisateur, en le noyant dans une boucle de confirmation qui exclut tout point de vue ou fait susceptible de contrarier l’opinion de départ. Ce choix éditorial implique en filigrane un profond mépris pour le débat et la confrontation des idées.

« Facebook tente de contourner les critiques sur ses contenus en prétendant qu’il n’est pas un organe de presse, mais une plateforme » explique Scott Galloway dans son ouvrage The Four. Le règne des quatre[1. Traduit de l’anglais, Lausanne, Quanto, 2018.]. « Que se passerait-il, ajoute-t-il, si MacDonald’s, dans le cas où on découvrirait que 80 % de leur viande de boeuf n’est qu’un ersatz et nous rendrait malades, proclamait qu’il ne peut pas être tenu pour responsable, car il n’est pas une chaîne de restauration rapide, mais une plateforme de restauration rapide ? ».
En supprimant certains comptes pour des raisons politiques – uniquement aux États-Unis et à l’approche des élections –, en tolérant et parfois en encourageant le racisme, et donc en favorisant certains contenus plutôt que d’autres, Facebook ne parvient plus à cacher son vrai visage : il est un média comme les autres avec d’énormes responsabilités, peu encourageantes pour la rentabilité du réseau social !