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Le PS, ce cauchemar

Converti à la cause de l’économie libérale depuis 30 ans, le Parti socialiste s’est associé, sans fard, à de nombreux choix politiques répondant et renforçant le capitalisme. Le traditionnel «sans nous ce serait pire» ne masque-t-il en fait pas une absence de projet politique ?

J’ai eu l’imp(r)udence d’exprimer, peu avant les élections du 7 juin dernier, l’idée qu’une défaite du PS me semblait non seulement souhaitable mais nécessaire, voire «de salut public». Une telle formule, dans un tel contexte, présentait le terrible inconvénient d’enfermer celui qui la proférait dans le cadre d’où il cherche précisément à s’échapper : celui des impératifs à court terme d’une compétition sportive baptisée «élection démocratique» où, par définition, appeler de ses vœux la défaite des uns revient à souhaiter la victoire des autres. Or, j’ai pu au lendemain du 7 juin me réjouir de la mine déconfite de Didier tout en me désolant du triomphe modeste d’Elio, non sans toutefois saluer secrètement la performance de l’artiste. C’est qu’il en faut du talent pour tenir ainsi le devant de la scène avec un parti qui n’a, depuis plus de trente ans maintenant, aucun autre argument de vente que d’affirmer «sans nous ce serait pire». Trente ans sans le moindre projet, trente ans sans la moindre perspective que de «limiter les dégâts» en feignant de vouloir «réguler» ce qui par définition échappe à toute régulation, trente ans d’abandon de toute pensée autonome au profit, en dernier ressort, de la bonne vieille théorie d’Adam Smith – à savoir que le libre échange généralisé représente le meilleur fondement possible de l’harmonie sociale – et cela comme le notait fort à propos Jean-Claude Michéa : «Au moment même où le projet capitaliste voit définitivement disparaître les derniers espoirs d’une fondation scientifique de ses dogmes» J.-Cl. Michéa, Impasse Adam Smith – brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Flammarion, 2006, p. 32.

Ce n’est pas le PS qui est «le plus proche» des «couches populaires», mais une large part de celles-ci qui se raccroche à lui faute de mieux, car lui seul se donne la peine de maintenir l’illusion de s’en soucier encore.

Déjà, il fallait de la bonne volonté pour s’enthousiasmer à l’idée des «réformes de structures» renardistes, et plus encore pour trouver exaltante «l’initiative industrielle publique» (à jamais virtuelle) de l’époque d’Edmond Leburton. Mais rétrospectivement, ça avait quand même une autre gueule que la «concurrence libre et non faussée» à quoi se résume le dogme contemporain, érigé via les traités européens en valeur suprême. Le point de non-retour a sans doute été franchi, par les bons soins de Laurette Onkelinx, avec la mise en conformité de notre enseignement avec les préceptes de l’OCDE, transpositions des principes libéraux que l’on a laissé imposer à l’échelle mondiale, des télécoms au trafic aérien, de la culture au secteur de la santé. Une fois franchi un tel cap, le PS ne plus peut être mieux qu’une machine politique spécialisée dans la légitimation culturelle de la fuite en avant de la civilisation libérale. Mais, objectera-t-on, le PS n’est-il pas resté, malgré tout, le plus proche des «couches populaires» ? (On n’ose plus parler de «classe ouvrière», elle a été dissoute Ou plus exactement a été dissoute la conscience qu’elle avait de sa propre existence par décret du FMI.) Dans cette affirmation, les termes sont en fait inversés. Ce n’est pas le PS qui est «le plus proche» des «couches populaires», mais une large part de celles-ci qui se raccroche à lui faute de mieux, car lui seul se donne la peine de maintenir l’illusion de s’en soucier encore. Tel est le rôle qui lui est assigné dans le spectacle politique, où tous les «partis démocratiques» – brevet auto-décerné – puisent dans le même panier les couleuvres qu’il s’agit de faire avaler. Seul diffère le «public cible». Simple question de marketing. Pour cela, les cadres du PS multiplient les marques de sollicitude. Ceux du moins qui sont forcés de mettre les mains dans le cambouis électoral pendant que d’autres s’affairent en coulisses à des choses plus sérieuses comme la destruction des services publics, le lotissement de l’État ou encore trouver des raisons de s’opposer à une proposition de loi tendant à porter le revenu d’intégration sociale (RIS) au-dessus du seuil de pauvreté (ils ont trouvé : elle n’allait pas assez loin, dixit Yvan Mayeur !). De goûters de pensionnés en vernissages d’expositions d’artistes locaux, de remise de trophées sportifs en noces de métaux précieux variés, de lettres de recommandation en petits passe-droits, ils parviennent à dissimuler tant bien que mal à une population massivement précarisée et soigneusement dépolitisée par les soins d’une nombreuses domesticité médiatique, l’état de déréliction auquel elle est de plus en plus vouée.

Pour s’extraire de ce «cauchemar climatisé» orwellien, une défaite – historique et non circonstancielle – du PS est un passage douloureusement obligé et la condition de toute «décolonisation de l’imaginaire», après quoi seulement, il pourrait être question de reconstruction.

Je ne nie pas qu’il puisse y avoir, chez tel ou tel de ces mandataires virtuoses dans l’art d’avoir un mot aimable pour chacun(e) et de toujours bien se placer par rapport au photographe ou à la caméra, une part, minoritaire dans la plupart des cas, de sincérité. Mais cela ne change rien à la finalité, consciente ou inconsciente, de ce comportement, qui n’est rien d’autre qu’un des moyens par lesquels le capitalisme moderne produit à la fois l’insupportable et les humains capables de le supporter. L’exercice acquiert un caractère de plus en plus factice, à mesure de l’arrivée parmi les élus (ou éligibles) d’une proportion croissante de «cabinettards» recyclés, pour qui souvent tout est affaire de com’ et d’image et le citoyen un animal assis, contemplant un écran. Je garde un souvenir cuisant de l’ode à la «méthode Sarkozy», à sa phénoménale capacité à «saturer l’espace médiatique», entonné devant moi et à l’abri des oreilles indiscrètes par telle élue PS de la génération des «quadra» qui est supposée représenter l’avenir de ce parti. Pour s’extraire de ce «cauchemar climatisé» orwellien, une défaite – historique et non circonstancielle – du PS est un passage douloureusement obligé et la condition de toute «décolonisation de l’imaginaire» S. Latouche, Décoloniser l’imaginaire : la pensée créative contre l’économie de l’absurde, Parangon, 2003 après quoi seulement, il pourrait être question de reconstruction. Hélas, le temps presse, car les autres conditions à réunir le seront de plus en plus difficilement.