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« Le nez sur le pare-brise »

Parce que, plus je travaille dans le social, moins je sais où l’on en est en termes d’égalisation des chances? Des publics ont gagné des droits ces 10 ou 15 dernières années : droit aux allocations d’attente pour les jeunes maghrébins, droit à l’aide sociale dès 18 ans, droit à un premier emploi plus récemment, droit à une aide au logement Adil= Payement de la différence du prix de la location entre un logement insalubre que l’on veut quitter et un logement correct que l’on retrouve etc. mais s’agit-il d’avancées vers plus d’égalité ou des emplâtres sur des grandes inégalités qui se sont, elles, plutôt aggravées durant la même période ?

En effet, des pans entiers d’emplois ont disparu, précipitant des centaines de milliers de personnes dans la précarité et dans le sentiment d’inutilité sociale… Et maintenant, avec cette relance économique, que se passe-t-il ? Les gens vont-ils redevenir un peu plus égaux face aux chances d’être embauchés ? Il y a indiscutablement des ouvertures et des embellies du côté de l’entrée sur le marché de l’emploi des moins qualifiés mais où le gouvernement a-t-il la tête quand il sort, dans cette conjoncture-là, une mesure comme le « Plan Printemps » ? Certaines mesures de ce plan sont une caricature cauchemardesque de l' »État social actif » et ressemblent furieusement à des cadeaux au secteur privé économique plutôt qu’à des mesures éthiques contrôlées et garanties par l’État pour favoriser l’insertion professionnelle des plus fragilisés. Quand je pense à ces mesures, je n’ai pas le sentiment que l’on aille vers plus d’égalité : j’ai plutôt l’impression qu’on va vers du « n’importe quoi »? Mais il y a tellement d’initiatives – lancées de toutes parts, dans toutes les matières et par tous les niveaux de pouvoirs – qui sont supposées remédier aux injustices sociales et pallier aux dysfonctionnements qu’on est très aisément berné et apaisé alors que cela peut être seulement du brouillard et une façon de détourner l’attention. Travailler dans le social, c’est « avoir le nez sur le pare-brise » : à travailler avec plusieurs centaines de jeunes adultes par an, parce que bon nombre d’entre eux se promeuvent via ces dispositifs de formation et d’insertion, cela crée un prisme positif déformant. Mais peut-on parler d’avancées dans l’égalisation des chances ou sommes-nous encore et toujours dans un processus de compensation individualisée ? En quoi toutes ces actions qui démontrent à l’envi que ce public dont l’école n’a rien pu faire a bien évidemment plein de compétences et de soif d’apprendre moyennant le fait de lui rendre confiance en ses capacités ont-elles contribué à interroger le fonctionnement de l’école et à le changer ?… Par ailleurs, en amont, est-ce que les ZEP et la politique de discrimination positive ont contribué à égaliser les chances des enfants dans les écoles ou, au contraire, ont permis de se donner bonne conscience, en colmatant un peu à la marge, sans rien changer aux inégalités face à l’école ? Mais surtout : comment poser correctement nos idéaux d’égalité ? Non, évidemment, les gens ne sont pas les mêmes et, à même condition socio-économique et dans les mêmes conditions pédagogiques (mais aussi en fonction de moments de leurs histoires), ils ne réagissent pas de la même façon. Certains se promeuvent beaucoup plus aisément que d’autres et quand on est dans le particulier, dans le suivi et le soutien de personnes qui ont un nom et un visage, on voit surtout cela. Il faut prendre du recul, oublier les histoires personnelles et regarder les cohortes d?individus en termes statistiques pour se rappeler qu’au-delà des différences individuelles qui tiennent non seulement à chaque personne selon sa composante psychique mais aussi qui tiennent à l’histoire familiale dans laquelle chacun a baigné.., il y a encore et toujours massivement des destinées collectives en fonction, par exemple, de l’appartenance socio-économique? Quel échec, non ? Après 40 ans de scolarité obligatoire et des moyens vraiment importants consacrés à l’enseignement…

Reformuler nos idéaux

De ces assises, j’attends donc 3 choses :

  1. Se prendre le temps de faire un état des lieux fouillé et le plus objectif possible (ou qui dise ses subjectivités !) sur une série de questions qui sont importantes pour moi (comme la réussite scolaire et l’accès à l’emploi), état des lieux effectué sur base des objectifs qui avaient été fixés, des moyens qui y ont été assignés pour les atteindre et des effets que cela a eus.
  2. Que cet état des lieux mette en présence des catégories d’acteurs engagés qui ont peu d’occasions de se confronter, voire qui s’évitent. Par exemple : des représentants du monde scolaire, des représentants syndicaux et des représentants du monde de l’insertion socio-professionnelle.
  3. Qu’au terme de cet état des lieux reprenant les faits et les problèmes, et après un temps d’analyse, nous puissions nous fixer des objectifs communs et nous prendre le temps de déterminer par quels moyens nous pensons pouvoir les atteindre.

Reformuler nos idéaux d’égalité et tenter d’en définir les conditions mises en oeuvre est un beau défi, non ?