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Le débat sur la monarchie, objet politique mal identifié

Le statut de la monarchie a franchi le seuil de politisation, qui marque l’entrée de problématiques nouvelles dans la sphère de la décision politique. Mais il donne encore lieu à des positionnements instables, dont il n’est pas facile de dégager les lignes de force.

Rétrospectivement, le clivage entre opinions publiques apparu lors de la consultation populaire qui devait régler la question royale frappe moins par sa nouveauté que par son intelligibilité. L’écart de 30 points entre le nombre de personnes favorables à la reprise de la fonction de Léopold III au nord et au sud du pays (72% en Flandre, 42% en Wallonie) recouvre deux des clivages structurants de la vie politique belge : on comprend aisément cette différence entre une Flandre plus catholique et conservatrice et une Wallonie plus laïque et marquée à gauche. Si aujourd’hui, les médias et le monde politiques flamands sont les plus enclins à restreindre les pouvoirs et le statut du roi et de la famille royale, on n’observe pas pour autant une simple inversion du clivage apparu en 1950 : la situation est moins lisible, et relève partiellement d’autres facteurs d’explication. Certains partis cherchent leurs marques sur cette question, et au premier chef l’ex-CVP qui avait voté, en commission du Sénat, avec le Vlaams Blok et la Volksunie contre la dotation royale au Prince Laurent, avec de réadopter une attitude plus conforme à ses traditions mais complexe, incluant une position critique à l’égard de certains actes de membres de la famille royale. Complexité aussi au VLD, qui refuse de mettre ces questions à l’agenda de l’actuelle législature maos dont certains parlementaires adoptent des positions républicaines radicales : c’est le cas du chef de groupe à la Chambre, Hugo Coveliers, ex-VU, et du sénateur Jean-Marie Dedecker, qui était déjà un défenseur pointu de la cause flamande lorsqu’il dirigeait l’équipe nationale de judo.

La fonction politique du roi s’exerçe par principe dans la plus grande discrétion tandis que la fonction symbolique s’exerce par principe dans la plus grande publicité.

Ces prises de position découlent avant tout de l’image « francophone » et institutionnellement conservatrice qu’on se fait de la famille royale en Flandre : par opposition avec 1950, c’est un troisième clivage structurant le système belge qui constitue cette fois un facteur d’explication privilégié. Le républicanisme du Vlaams Blok ne s’explique pas autrement, et même si la N-VA de Geert Bourgeois dit vouloir réduire les pouvoirs du roi par souci de démocratie, il y a fort à parier que les motivations autonomistes flamandes pèsent lourd dans la balance, mais ne peuvent s’afficher sans risque de confusion avec le Blok. C’est d’ailleurs un des motifs de la prudence francophone : seul Ecolo manifeste ouvertement sa volonté de revoir en profondeur le statut et la fonction royales et laisse plusieurs de ses membres afficher leurs préférences républicaines, alors que le PS, qui ne compte pourtant pas que des monarchistes de cœur ou de raison, semble craindre que certaines réformes d’inspiration flamande servent avant tout à attaquer l’unité du pays. D’autres motivations sont évidemment présentes en Flandre, notamment chez Agalev, le SP.A et Spirit, qui manifestent à des degrés divers un souci de démocratisation de la tradition monarchique, partagé par de larges composantes du PS et sur lequel le PSC et le PRL pourraient le rejoindre s’ils ne craignaient de favoriser des changements institutionnels ou de heurter l’opinion publique francophone ainsi que certains de leurs ténors.

Les deux facettes de la fonction

La complexité prévaut aussi du côté des enjeux. D’abord parce que la fonction royale possède deux facettes très différentes : une facette politique et une facette symbolique, la fonction politique du roi s’exerçant par principe dans la plus grande discrétion tandis que la fonction symbolique s’exerce par principe dans la plus grande publicité. Ensuite parce que les demandes de réforme se réclament de la démocratie en deux sens différents : au plan politique, il s’agirait de restreindre les pouvoirs d’un responsable non élu, jouant son rôle selon les normes de discrétion peu conformes à l’évolution actuelle des régimes démocratiques ; au plan sociologique il s’agirait de revoir les règles et les traditions qui confèrent au statut particulier à la monarchie, de l’inviolabilité de la personne du roi aux privilèges, réels ou supposés, de la famille royale sur des terrains divers : il s’agit ici de la démocratie entendue comme marche vers l’égalité toujours croissante des conditions, mouvement bien décrit par Tocqueville et qui touche aussi la France ou l’Angleterre. On notera enfin que selon les cas, ce sont des règles fixées par la Constitution, par la loi, par le gouvernement ou par la tradition qui sont en jeu, les plus importantes, relatives aux pouvoirs du roi, étant d’ordre constitutionnel. Ces différents plans ont un impact sur la vitesse à laquelle peuvent se prendre les diverses décisions, même s’il faut noter que le projet de réforme constitutionnelle de l’actuelle majorité aurait pour effet, s’il était adopté après les élections, de permettre de réviser la Constitution en une seule législature, et avec une majorité plus facile à obtenir – car n’imposant pas de seuil au sein des groupes linguistiques au Parlement – que pour modifier une loi spéciale…