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L’arbre qui cache la forêt mais qui en fait partie

Pour la ministre de l’Intégration sociale, les politiques de diversité sont avant tout des outils économiques de management pour les entreprises et des outils politiques dans une situation de chômage «discriminant» Mais en aucun cas une initiative visant à réduire les inégalités.

Lorsqu’en 2003, à l’entame du second mandat de Guy Verhofstadt, la Conférence pour l’emploi a érigé la question de la diversité au rang de projet politique, disons le d’emblée, j’ai accueilli cette nouvelle «tendance» avec circonspection. Ce n’était pas une grande surprise. Confrontée au problème des discriminations sur un marché du travail déjà proche du chômage frictionnel, la Région flamande avait initié en 2002 et avec détermination une série de projets-pilotes de diversité. Pour ceux qui s’en souviennent, la Région flamande avait développé un programme appelé «Trivisie» dont un des piliers portait précisément sur la diversité. Ce programme finançait des projets-pilotes jusque dans les PME. Il organisait également des échanges de bonnes pratiques et d’expérience en sus d’une capitalisation de l’expertise. Il apparaissait logique que ces expériences trouvent dans la conférence pour l’emploi une chambre d’écho particulièrement favorable. Deux années auparavant déjà, la grande conférence sur la responsabilité sociale des entreprises organisée en novembre 2001 durant la présidence belge, avait permis aux pragmatistes anglo-saxons d’exporter le concept. Des consultants comme Simon Zadek, relayés par CSR Europe Réseau d’entreprises en faveur de la responsabilité sociale des entreprises.. et la Direction générale Emploi de la Commission européenne, vendaient des gains de productivité aux entre-prises multinationales qui oseraient se lancer dans la bataille du management de la diversité, sous l’œil dubitatif de la Confédération européenne des syndicats. Le principe a immédiatement été investi par le ministre de l’Économie plurielle ou économie sociale.. d’alors, Johan Vande Lanotte et surtout par le ministre de l’Emploi flamand, lui aussi SP. Côté wallon, je suivais ces questions, comme ministre régionale de la Formation et de l’Emploi, confrontée au problème de sous-qualification importante des chercheurs d’emploi wallons, y compris chez les jeunes. Cette approche ne répondait donc pas spécifiquement à nos problèmes. Ce petit détour par l’histoire nous offre les deux clés essentielles d’une analyse des politiques de diversité. La première, intéressant les partenaires sociaux au niveau de l’entreprise, est d’ordre micro-économique. Comment «manager» les différences au sein d’une entreprise ? Comment organiser une cohabitation harmonieuse entre des travailleurs socialement, culturellement, économiquement très… inégaux ? Comment s’assurer que ces «disparités» au pire n’empêche pas le bon fonctionne-ment de l’entreprise, au mieux en améliorent les résultats ? La seconde clé de lecture est politique. Comment combattre les discriminations à l’embauche liées à l’âge, au sexe, à la race, au handicap… dans un contexte de quasi plein emploi et de chômage réservé aux couches traditionnellement les plus discriminées ? La conjugaison de ces deux approches a facilité le consensus social et politique sur le concept. Le contexte a également aidé : la législature précédente avait permis de mener des politiques incitatives à l’embauche des publics discriminés (notamment au niveau régional) et des mesures répressives avaient été prises. Il con-venait donc de passer à une approche plus positive du problème. Voilà pour l’explication.

Partage des richesses

Au-delà de leurs véritables mérites, sur lesquels d’autres articles du présent dossier reviennent, ces politiques de diversité ne peuvent ériger les différences en principe. Telle est leur principale lacune. «Les êtres humains naissent égaux en droits et en dignité» nous rappelle l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. La gauche ne peut se satisfaire d’acter les différences et de les organiser pour les rendre au pire «vivables», au mieux «fécondes». «Il faut de tout pour faire un monde» n’est pas mon adage favori. L’égalité des droits et de leur accès est essentielle. Travailler sur les différences est un aveu de faiblesse sauf à ce que ce travail participe d’un projet plus global : celui de l’égalité. L’enseignement, la formation professionnelle, la «capacitation» des acteurs, l’éducation permanente, le soutien à l’auto-création d’emplois, une sécurité sociale forte et inclusive, une justice pour tous, la sécurité, des services sociaux publics et associatifs de qualité… offrent aux jeunes, aux migrants, aux femmes, aux personnes handicapées, aux travailleurs âgés bien plus de perspectives d’émancipation que les politiques de diversité. Il ne s’agit évidemment pas de dénigrer l’intérêt de ces politiques mais de les remettre à la place qui leur convient. Outre qu’elles actent les différences et s’appuient sur elles, il faut bien reconnaître que les politiques de diversité ne répondent pas non plus au principal problème de nos économies. Le partage des richesses et la solidarité n’y sont pas à l’ordre du jour. Certains vont même jusqu’à dire qu’elles organisent plus encore la captation des richesses au profit des détenteurs de capitaux. À l’entame des négociations relatives à l’accord interprofessionnel, je peux comprendre que la tension sociale redevienne très vive. Non pour des raisons tactiques et de musculation, mais parce qu’il faut prendre la mesure du fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres. Aussi parce que la menace d’une récession trace une voie royale aux détracteurs de la sécurité sociale et des services publics. Or, ce qui importe, c’est de repenser notre positionnement économique, non de battre en brèche une organisation sociale dont nous pouvons être fiers. Que disent les politiques de diversité sur ces questions ? Rien sauf qu’il faut s’adapter. C’est évidemment faible, voire même dangereux. En conclusion, je dirais simplement qu’on peut avoir à cœur de mener des politiques de diversité comme outils micro-économiques de management et comme outils politiques dans un contexte de chômage discriminant. Mais elles sont relativement inefficaces face à la construction organisée des inégalités et à la distribution tout à fait inéquitable des richesses. L’égalité et la solidarité nécessitent des leviers bien plus structurels.