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L’ADN du capitalisme

Caterpillar fabrique des bulldozers et des pelles mécaniques. ING est une des cinq banques systémiques belges. Deux fleurons de notre économie qui viennent de rejoindre Renault, Dexia et Arcelor-Mittal dans le hit parade de la casse sociale. Les apprentis-sorciers de la droite au pouvoir protestent : ce n’est pas du jeu, après tout ce qu’on a fait pour maintenir les emplois, pour même en attirer de nouveaux ! Les analystes pointus cherchent des explications : ici l’entreprise aurait trop misé sur l’exploitation industrielle de la nature, là elle subit les inévitables conséquences du développement de l’internet. Oui, sans doute. Mais au-delà de toutes les explications techniques, ce qui s’est manifesté de part et d’autre, c’est bien la logique d’airain du capitalisme financier. L’adjectif est important. Car il y a un monde entre celui-ci et le capitalisme industriel « à l’ancienne ». Un capitaliste industriel, c’est quelqu’un qui a fait fortune dans un métier auquel il est attaché. Son entreprise, c’est son oeuvre, son produit c’est sa fierté. Bien sûr, il cherchera toujours à en tirer un profit maximal et il négociera durement avec ses salariés pour en garder le plus possible pour lui. Mais s’il en tire un bénéfice suffisant pour s’assurer un train de vie confortable tout en pérennisant son gagne-pain, il peut s’en contenter. Dans la négociation entre interlocuteurs sociaux, il est possible de trouver un terrain d’entente. À l’âge du capitalisme financier, tout change. Les propriétaires des grandes entreprises… ne savent même plus de quelles entreprises ils sont les propriétaires. Des fonds communs de placement, gérés par des banques d’affaires qui prospèrent aujourd’hui, recherchent sur la planète entière le meilleur rendement. Il ne suffit plus qu’une entreprise soit rentable. Il faut qu’elle puisse rapporter autant que ce que le marché des capitaux offre ailleurs, quel que soit le secteur, quel que soit le pays. Ce qu’on nomme « mondialisation libérale » avait notamment pour but de libérer complètement la circulation des capitaux et des marchandises, afin que le moindre dollar puisse s’investir dans n’importe quel lieu du monde et les produits se vendre dans n’importe quel autre. Dans ce genre d’entreprise, les syndicalistes ne sont pas confrontés à de vrais entrepreneurs, mais à des mercenaires grassement payés pour faire du chiffre qui doivent rendre des comptes à des actionnaires qu’ils ne connaissent même pas et qui ne perdront rien si l’entreprise doit fermer. Si, à l’époque précédente, l’entreprise pouvait être considérée comme un bien commun de son patron et de ses travailleurs – voire de toute une ville, de tout un quartier –, ce n’est plus le cas désormais. Dans la négociation sociale, on n’a plus aucune prise. Reste la politique, aujourd’hui celle d’une droite qui nous disait « jobs, jobs, jobs ». La droite française, en pleine bataille pour ses primaires, ne dit pas autre chose. La recette est partout la même : il faut diminuer le coût du travail. Comme on compte sur le capital financier pour créer des emplois – puisqu’en même temps on liquide l’emploi public – il faut pouvoir lui offrir des salariés au rabais. Et chacun de sortir sa calculette pour démontrer qu’on est toujours trop cher par rapport à son voisin. Il faut être com-pé-ti-tif, c’est-à-dire un peu moins cher que lui, jusqu’au moment où le voisin en question fera la même chose, et ainsi de suite… Cette spirale est sans fin. Surtout que, derrière le voisin, il y a l’Europe de l’Est et, derrière elle, la Chine, l’Inde, le Vietnam… Cela fait malheureusement longtemps que la « gauche de gouvernement », en Belgique, en France ou ailleurs, s’est adaptée à cette contrainte. En comparaison avec la droite, il subsiste bien une différence mais seulement de degré, pas de nature. Or on a besoin d’un véritable chemin alternatif. Et d’un accès de lucidité : on aura beau faire risette aux capitalistes, leur promettre des tas d’avantages qu’ils s’empresseront d’encaisser avant de changer d’air, on ne changera pas leur ADN.