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La mesure du « Belgomètre »

Il y aura sans aucun doute encore d’autres occasions de parler de B-H-V et les extrémistes périphériques ont également reçu plus d’attention qu’ils n’en méritaient ces derniers jours. Mettons donc l’accent sur un des nouveaux petits joujoux interactifs du Standaard: le «Belgomètre» http://www.standaard.be/belgometer … Sur le site web du journal, l’on peut lire que «chaque participant peut savoir à quel point il est séparatiste ou pro-Belge, en se prononçant sur vingt propositions». Le Belgomètre calcule alors votre taux de séparatisme ou d’unitarisme. Selon les articles triomphalistes dans le journal, plus de 100~000 visiteurs peuvent déjà se réjouir d’avoir une meilleure vue sur leurs sentiments identitaires. En plus, on nous fournit des résultats provisoires: les Limbourgeois, les personnes âgées, les membres du Vlaams Belang, et les hommes semblent être les plus séparatistes. Ce ne sont pourtant pas tellement les résultats du Belgomètre qui nous apprennent quelque chose sur la Belgique. Comme c’est le cas avec chaque sondage, les réponses sont bien moins révélatrices que les questions ou les propositions. Le test en dit plus sur la vision de la Belgique des testeurs que sur celle des utilisateurs. Ainsi, un peu d’expérimentation avec le Belgomètre (à moi tout seul, je représente probablement déjà une fraction importante des 100~000…), m’apprend que ma cotation séparatiste grimpe si je suis d’accord avec l’affirmation que la frontière linguistique est définitivement fixée et qu’il n’y a plus lieu de négocier à son sujet. Et moi qui pensais que le tracé de cette frontière était un outil de pacification pour contenir les tensions communautaires, faisant partie du plus large compromis belge, et que vouloir la déplacer était une expression de radicalisme. Non, l’attachement à la Belgique et le respect de l’homogénéité des régions linguistiques semblent s’exclure. Telle exclusion mutuelle vaut également, toujours selon le Belgomètre, pour l’attachement à la Belgique et le sentiment républicain. L’affirmation «la Belgique doit se débarrasser de son roi» ne fait que procurer des points séparatistes supplémentaires. Les cercles flamands d'(extrême) gauche qui pensent pouvoir combiner une approche républicaine et l’identité belge sont donc victimes d’une fausse conscience. Même chose pour certains représentants d’Écolo qui sont en faveur de la république: ils vont devoir se poser des questions sur leur attachement à la Belgique. Pour sa mise en équivalence entre la Belgique et la monarchie, le Belgomètre se base probablement sur le caractère symbolique hautement tricolore de Laeken. Je m’attendais donc à ce que les propositions suivantes sondent ma prédilection pour les frites, le chocolat, et la bière. Mais c’est à un autre symbole que le Belgomètre me confronte: la Brabançonne. Si je n’éprouve pas la nécessité de faire chanter aux enfants des écoles, à pleins poumons, que leur cœur, leur bras et leur sang appartient à la Patrie (les premières règles du texte de l’hymne national), j’ai de nouveau fait un pas en direction d’une scission du pays. Le Belgomètre me voit alors comme quelqu’un qui veut entendre ses enfants chanter le Vlaamse Leeuw. Et pas comme quelqu’un qui considère l’école comme un lieu de développement du sens critique plutôt que comme un outil de réveil du sentiment patriotique, quelqu’il soit. Vouloir maintenir la frontière linguistique, s’interroger sur l’institution royale, et ne pas obliger les enfants à apprendre l’hymne national belge, cela ne peut signifier qu’une chose: l’expression, feutrée ou non, du séparatisme. Cela vous rappelle également quelque chose? Le Belgomètre penche de manière frappante vers une image de la Flandre qui règne dans certains milieux francophones. Ainsi Olivier Maingain répète depuis des mois que «les Flamands» refusent d’étendre Bruxelles parce qu’ils ont en fait un agenda séparatiste. Une image renforcée par beaucoup de médias francophones. Et voilà encore une question épineuse que le Belgomètre a anticipé: «Les médias francophones stigmatisent les Flamands de manière systématique», me soumet-il encore comme proposition. «Stigmatiser» et «systématiquement» sont des termes un peu exagérés, mais c’est grosso modo une des positions que j’ai défendues dans ma thèse de doctorat portant sur l’image médiatique réciproque des Flamands et des francophones (encore que j’y ai indiqué également que les médias flamands sont tout aussi peu nuancés lorsqu’ils parlent des francophones, mais soit en français dans le texte..). Grâce au Belgomètre je sais maintenant que dans mon doctorat, j’ai furtivement défendu un point de vue séparatiste. Tellement furtif d’ailleurs que je n’en étais pas conscient moi-même. De nouveau le Belgomètre semble se placer sur une ligne «francophone». Encore que… si cette perception s’insinue aussi dans un Belgomètre flamand, pouvons-nous réellement la qualifier de francophone? Les francophones auraient-ils donc quand même raison lorsqu’ils soupçonnent les Flamands d’avoir des agendas cachés? Ou bien Flamands et francophones se retrouvent-ils réunis dans leur vision déformée de la Belgique? Je penche plutôt pour la seconde option. Le problème fondamental du Belgomètre n’est pas tellement qu’il estampille injustement les participants comme séparatistes ou unionistes. Le problème c’est qu’il est entièrement construit autour de cette opposition. Il ne mesure que des séparatistes et des unionistes. Les fédéralistes se trouvent entièrement hors de son champ. De plus, les deux catégories sont rendues équivalentes avec le fait d’être Flamand ou Belge, ce qui fait apparaître ces deux identités comme des contraires également. Cela se manifeste déjà à partir de la première proposition, où on doit indiquer si l’on se présente comme belge ou comme flamand. Pourtant, la recherche scientifique sur les sentiments d’identité ethno-territoriale montre justement que la majorité des, euh, Flamands, se sentent en même temps flamands et belges. Si cette recherche n’avait pas inclus dans son questionnaire la possibilité de choisir les deux réponses à la fois, elle aurait sans doute aussi débouché sur d’autres conclusions. Voilà un bel exemple de la différence entre de la recherche sérieuse et un sondage. Allez, n’en voulons quand même pas trop au Belgomètre. Il ne fait que refléter une tendance plus générale qui considère de moins en moins le fédéralisme comme une option (valable). Ou pour quand même y associer le récent spectacle dans quelques communes à facilités : on n’entend plus que les extrémistes des deux côtés et pas la majorité qui se situe entre les deux.