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La chute de la maison Ducarme

Le destin des vieux renards est souvent de terminer chez le fourreur. Daniel Ducarme en fait l’amère expérience, lui qui avait pourtant toujours pu compter sur une insolente baraka. Jusqu’ici en effet ses bourdes semestrielles agissaient comme de la gelée royale sur sa santé politique. La dernière aura scellé son sort en l’espace d’une matinée. Il y a tout lieu de penser que sa chute aura des répercussions à Thuin, ville dont il fut tout à la fois le bourgmestre et la personnalité politique dominante, car c’est dans son sillage que l’un ou l’autre de ses proches ont obtenu des mandats politiques de première importance. Dans le parti, ce n’est qu’à voix basse et à l’occasion de rassemblements de moins de trois personnes que l’on s’offusquait de voir sa première épouse présidente du CPAS de Thuin, son fils aîné Denis échevin de la même ville Fonction dont il a démissionné avec fracas et maladresse, anticipant de peu un retrait prévisible de ses compétences et député fédéral, tandis qu’était promis au cadet un poste de sénateur, par le truchement d’un montage si complexe qu’il était indispensable de se le faire expliquer au moins deux fois pour en comprendre le mécanisme. On a dit, sans doute à juste titre, que le départ de Daniel Ducarme à Bruxelles reposait sur des motifs d’ordre privé. Il n’en reste pas moins vrai que face à une équipe socialiste jeune et attractive il aurait sans doute mordu la poussière lors des dernières élections communales tant sa crédibilité s’était effilochée au fil du temps. Mais à Bruxelles, il était devenu plus puissant encore et pouvait dès lors veiller sur les siens demeurés en Haute Sambre. Il y a fort à parier que le patronyme agira désormais à rebours de la pierre philosophale : il transformera demain en plomb ce qu’il convertissait hier en or… Prenons le fils député : sans lui vouloir particulièrement du mal, force est de reconnaître qu’il est passé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire du statut de fils du patron à celui de cible de tir forain. Si l’on ajoute que les réformateurs libéraux du Hainaut sont sans doute les inventeurs du fusil à tirer dans les coins, on comprendra qu’il faudra à Denis Ducarme beaucoup de doigté pour donner un nouvel élan à sa carrière. En gros, on lui conseille de faire tout l’inverse de ce qu’il a fait jusqu’ici… Par ailleurs, il se murmure déjà que l’on a trouvé un moyen imparable pour dérégler le subtil mécanisme de démissions en cascade qui devait propulser l’autre fils, Lucas, au Sénat… À Thuin plus qu’ailleurs, c’est sans solennité particulière que l’on se prépare à tourner la page. Une ère se termine. Comme on parle parfois des porcelaines Ming, on parlera désormais des casseroles Ducarme… La chute du ministre-président de la Région bruxelloise, ministre des Arts et des Lettres n’est qu’une péripétie s’inscrivant parfaitement dans le registre de ce qu’a été toute sa carrière : un enchaînement d’épisodes singuliers et déconcertants. Jadis on en aurait fait un vaudeville ou une chanson d’aveugle. Reste que cette dégringolade plus bouffonne que pathétique survivra sans doute dans les annales pour avoir offert un spectacle plus rare que le passage d’une comète : pendant deux jours, en se relayant comme des vestales, tous les dirigeants libéraux sont venus glorifier, avec une déférence dévote, sur toute la gamme et les quatre arpèges, les vertus de… l’impôt. De ce qui n’était jusque-là qu’un vrai rêve masturbatoire pour les politologues des deux hémisphères, il nous sera donné de dire à nos enfants éberlués : Moi, j’ai vu cela petit !