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Pour une gauche de gauche

Le recul électoral des socialistes ne se réduit pas au seul PS et n’est pas propre à la Belgique. Si quelques-uns déplorent l’abandon des pratiques traditionnelles, la grande majorité des commentateurs attribue au conservatisme des partis, obstacle à leur rénovation, la cause de leur déclin. Des analystes plus nuancés soulignent cependant l’évolution importante des partis socialistes au cours des dernières années mais déplorent le fait qu’elles ne soient pas assumées publiquement. Si bien que les socialistes présenteraient à l’électeur l’image d’un vieux parti alors que ce dernier aurait déjà été largement rénové. Le fait que le recul ait frappé tant les socialistes francophones que flamands peut cependant nous aider à mieux comprendre la nature du «séisme». PS et SP.A sont apparus comme les deux facettes du processus de rénovation. Alors que le PS est présenté comme archaïque, refusant ne fût-ce que de renoncer à la Charte de Quaregnon et miné par le clientélisme et les affaires, le SP.A apparaît comme le produit d’une rénovation réussie. Des dirigeants jeunes comme Freya Vandenbossche ou modernes et formés à la source du blairisme comme Frank Vandenbroucke, ou encore éthiques, comme Patrick Janssens qui a assaini la ville d’Anvers. Le SP.A s’est largement ouvert au socialisme libéral et n’a pas hésité à faire de l’activation des chômeurs son arme de bataille. Pourtant son échec est encore plus cuisant que celui du PS. Guy Spitaels a incontestablement raison. L’ampleur de l’échec du PS ne peut se réduire « au seul facteur de la mauvaise gestion de Charleroi » (Le Soir du 14 juin). Il nous faudra donc creuser les raisons de la crise qui mine les socialistes. La social-démocratie a été en effet le résultat du compromis entre le travail et le capital qui s’est noué sur une base nationale. Si bien que le processus d’unification européenne, au lieu de lui donner un souffle nouveau, a conduit à l’érosion de son potentiel réformiste. Et la chute du communisme n’a pas mené aux retrouvailles entre le socialisme et la liberté mais à un affaiblissement inédit de la gauche dans le monde. Dans cette nouvelle configuration du monde issu de la chute du communisme, la gauche n’a pu que s’adapter aux transformations sociales sans pouvoir, comme par le passé, réformer la société. À des degrés divers, la gauche a contribué au contraire à légitimer des politiques antisociales en payant son électorat traditionnel en monnaie de singe. Le chômage et la précarité salariale se sont installés, les revenus du travail ont stagné alors que les revenus de la rente ont augmenté, accentuant ainsi les inégalités sociales. Nous sommes confrontés à des mutations d’envergure qui n’ont été ni délibérées ni maîtrisées mais auxquelles nous sommes invités à nous adapter. Ouvriers, employés, salariés précarisés, chômeurs… ne se retrouvent plus dans les projets de ce socialisme de gouvernement. Les débats autour de la constitution européenne, des retraites, de la qualité des emplois en sont des manifestations. La gauche est à présent sommée de faire son aggiornamento. Décomplexer la gauche résiderait à se rallier, comme en Angleterre, en Allemagne et en Italie, au social-libéralisme. Mais cette gauche serait-elle encore à gauche? D’autant plus que, cette orientation ne paraît guère réussir et que l’abandon des «acquis sociaux» tellement décriés à droite, revient aussi à renoncer à défendre les catégories populaires. De plus, tout comme la «droite de la gauche» social-libérale, la «gauche de la gauche», attachée à la transformation sociale, est en panne de projet et de stratégie. L’«antilibéralisme» et la dénonciation de «l’Europe des marchands» ne font pas un programme. Pour devenir une force de changement, les socialistes doivent pouvoir incarner à nouveau un projet de société. Sur les questions des retraites, du chômage ou des salaires, la gauche n’a rien à gagner en adoptant les idées de ses adversaires. Elle doit au contraire préserver ses fondamentaux tout en assimilant les apports divers des couches populaires aux multiples identités sociales et culturelles pour retrouver son enracinement social. C’est en représentant les aspirations du travail, mais aussi des minorités culturelles et sexuelles et des groupes discriminés (sans papier, sans domicile…), dans les antagonismes politiques qu’elle peut se retrouver. Elle doit pouvoir apporter des réponses non seulement sociales mais aussi sur les terrains de l’éducation, de la culture, de la démocratie, des enjeux urbains et écologiques pour gagner durablement les catégories populaires et les jeunes. À gauche, le recul socialiste ne doit pas cacher un grand succès écolo. La perspective d’une opposition pour les formations socialistes et écologistes pourrait ouvrir la possibilité d’un renouveau du débat politique pour la refondation d’une gauche de gauche. Dans les rapports de force issu des élections, rien ne menace plus, en ce moment, le renouveau de la gauche que la participation ne fût-ce que d’une de ses composantes au futur gouvernement.