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House of wax

À la mi-septembre, la société Lehman Brothers s’est effondrée aux États-Unis. Ou plutôt : les États-Unis ont laissé Lehman Brothers s’effondrer. Parce que les répercussions se situaient surtout ailleurs dans le monde. Et aussi pour des raisons idéologiques : c’étaient les dernières convulsions de l’époque néolibérale, anti-étatique, que Ronald Reagan avait inaugurée en 1981 (poursuivie ensuite pendant sept mandats présidentiels) avec les mots hallucinants de son nègre concernant l’autorité publique qui n’était pas la solution mais bien le problème. C’est encore plus hallucinant lorsqu’on relit entièrement la partie célèbre et régulièrement citée de ce discours : «Dans la crise actuelle, le gouvernement n’est pas la solution à notre problème ; le gouvernement est le problème. De temps en temps nous sommes tentés de croire que la société est devenue trop complexe pour être gérée par l’autorégulation, qu’une élite gouvernante est meilleure qu’un gouvernement pour les gens, par les gens et des gens. Eh bien si aucun d’entre nous n’est capable de se gouverner lui-même, qui alors parmi nous aura la capacité de gouverner quelqu’un d’autre ?» Vraiment une superbe rhétorique. Avec, comme on le voit, des conséquences désastreuses.

Peter Praet de la Banque nationale compare «nine fifteen» Pour 15 septembre 2008, date à laquelle le holding Lehman Brothers se déclare en faillite aux États-Unis à la suite de la cirse des subprimes (Ndlr) avec la scène du film-catastrophe écologique «The day after tomorrow», où quelqu’un sort de l’avion et est congelé en quelques secondes. C’est ainsi aussi que les marchés financiers d’un coup se sont arrêtés par la congélation soudaine de la confiance. Ce qui se passa ensuite renvoie à vrai dire plutôt à l’horreur de «House of wax» Film d’horreur états-unien (Ndlr) , avec à la fin cette maison en feu qui fond lentement tandis que les deux bons qui ont survécu tentent de s’enfuir – dans le remake Paris Hilton est déjà largement morte à ce moment. Les marchés financiers qui sont partis à la dérive, régis par les spéculateurs et les investisseurs paniqués. Les économies qui ont effectué un virage en direction de la récession, les unes plus que les autres. Et en conséquence aussi une crise sociale, avec chez nous d’abord une augmentation du chômage temporaire (de près de 60%), puis maintenant une forte hausse de chômage complet, comme souvent plutôt en Flandre et d’abord chez les jeunes.

Pour la forme

Cet effondrement semble aujourd’hui ne pas connaître de fin. C’est ainsi que tous les deux-trois jours on voit apparaître une nouvelle prévision de contraction de l’économie belge. Fin novembre, nous déplorions déjà le – 0,1% de l’OCDE et le – 0,2% de la Banque nationale. Le FMI a rapidement suivi avec un – 0,75%. Mi-janvier, la Commission européenne réévaluait ses prévisions vers une compression inquiétante de 1,9%. Et à chaque chute on accentue encore le basculement. Ce sera déjà très bien si nous pouvons sortir de l’ornière à la mi-2010. Cela ne va pas s’améliorer si le Voka Vlaams netwerk van ondernemingen, l’organisation représentant les entreprises de la Région flamande (Ndlr) s’entête à distribuer les baffes, selon la ligne tracée par son président Urbain Vandeurzen dans son dernier discours de nouvel an. La crise ? Vous n’avez encore rien vu ! Sortir du trou ? Un appauvrissement généralisé oui. Et durable encore bien ! Des plans de relance ? Pour la forme et tout à fait à côté de la plaque! Là, Vandeurzen n’a rien inventé. C’est ce que pensent clairement 95% de ses membres à propos des plans de relance. Et vous, que diriez-vous donc si vous receviez ce type de question au téléphone : «Que pensez-vous des plans de relance ?» Les cinq autres pour cent ne s’en sont visiblement pas remis après s’être étranglés. Cela dit, nous n’entendons pas nier le droit à la liberté d’expression des forces vives flamandes. C’est un bien précieux que nous devons préserver. Surtout maintenant qu’il risque d’être mis de plus en plus sous pression par la prise de conscience du fait que l’économie, c’est surtout de la psychologie, basée sur la confiance ou la défiance des consommateurs et des entrepreneurs, des bailleurs de crédit et des spéculateurs. Car à cause de cela une sorte de dictature de la confiance menace de s’installer : la répression de tout ce qui pourrait porter atteinte à la confiance à gauche comme à droite. Il suffit de voir l’interdiction faite aux syndicats d’évoquer des problèmes de pouvoir d’achat : cette tentative a été incendiée comme étant une hystérie du pouvoir d’achat qui nuit à la confiance des consommateurs. Mais on pourrait quand même s’attendre à ce que les employeurs flamands exercent cette liberté avec un certain sens des responsabilités. Au lieu de s’occuper à vociférer au balcon, au moment ou d’autres responsables s’échinent à restaurer la confiance par le plan de relance fédéral, par les plans de relance régionaux, par l’accord interprofessionnel 2009-2010 aussi. Il n’est pas obligatoire d’être enthousiaste. On peut critiquer. Ce n’est pas parce que l’accord interprofessionnel est le meilleur possible au vu des circonstances que c’est le meilleur tout court. Peut-être n’est-ce là qu’un peu de musique dans l’obscurité. Mais en tout cas cela vaut mieux que d‘hurler dans l’obscurité l’un contre l’autre. Car cela ne fait qu’aggraver les choses.

Les pompiers

La réaction du Voka est aussi – si l’on s’exprime à la Tobback – stupide et maladroite. Parce qu’il évalue la politique de relance par rapport à des ambitions qu’elle n’a jamais eues. Les plans de relance sont des mesures d’urgence. Comme l’a souhaité l’Europe. Ils n’ont jamais été conçus pour préparer notre économie, notre marché de l’emploi, notre société, à l’avenir. C’est précisément pour cela qu’il s’agit de mesures temporaires. Qui pèsent aussi en partie sur l’avenir, en accroissant la dette publique et le déficit public. Mais qui sont tout à fait indiquées pour éviter, ici et maintenant, que l’économie ne s’écroule encore plus. Cà aussi c’est important pour l’avenir. Car plus le trou sera profond, plus la remontée sera difficile. Les plans de relance sont des plans-catastrophes. On ne va quand même pas reprocher aux pompiers, au moment où tout l’édifice est en feu, de consacrer trop peu d’énergie à la prévention des incendies et à l’innovation dans le domaine des produits de lutte contre le feu. C’est précisément ce que le Voka entend faire : jeter encore un peu d’huile sur le feu et envoyer ensuite aux pompiers des gouvernements et du groupe des 10 le reproche implicite que l’extinction des incendies est du gaspillage d’eau et qu’ils feraient mieux d’investir leur énergie à la préparation de l’avenir. «Dans le renouvellement radical de notre ADN économique» dit-on dans le jargon du Voka. Qui peut penser à une telle chose … Cela étant, les penseurs du Voka ne veulent ni plus ni moins qu’une transformation radicale de l’économie flamande. Encore que cela ressemble de temps à autre plus à un rhabillage à l’image et à la ressemblance de LMS International, la firme de software de Vandeurzen. Avec pour cette raison un accent exagéré mis sur l’économie de la connaissance. Tout cela est excellent pour rétablir la confiance des industriels qui font face à une chute drastique de leur chiffre d’affaires. Ou pour le secteur de la construction qui espère connaître une renaissance, via ces plans de relance, de la demande des particuliers et des autorités. Ces industriels et ces promoteurs reçoivent donc maintenant de la part du Voka ou de son président (ce n’est pas toujours clair) le signal suivant : l’avenir ne réside pas dans les machines (autres que les pc), ni dans le béton et la brique, mais dans les bits, bytes, et brains. Cela étant, ce qui l’en reste, c’est surtout une pêche éhontée pour avoir plus de fonds publics pour la recherche et le développement : trois milliards d’euros, c’est le vœu de nouvel an du Voka. Il faut oser. Après avoir reproché quelques minutes plus tôt aux autorités, dans le même message de nouvel an, de faire déraper encore plus le budget avec leurs plans de relance.

Populisme patronal

Tout cela est donc particulièrement irresponsable. Y compris dans un autre sens. Parce qu’on n’a jamais l’impression que le Voka se sente responsable de quoi que ce soit. C’est la variante patronale du populisme, comme Patrick Stouthuysen Professeur en sciences politiques à la Vrije Universiteit Brussel (Ndlr) l’a déjà pointée dans De gids Gids op Maatschappelijk Gebied (Ndlr) : une combinaison remarquable des éléments suivants : tirer sur tout ce qui bouge (sur le plan fédéral ou syndical), jouer en permanence sur le ressenti antipolitique qui vit auprès de leur arrière-ban patronal, se vautrer dans une position de martyr (l’entreprise flamande qui est livrée contre son gré au complexe politico-syndical, voire aux Wallons dépensiers), ne jamais se retrousser les manches en préférant la position du capitaine qui reste sur le rivage, réduire le dialogue social à un monologue donneur de leçons, pour convaincre les opposants de la Bonne Nouvelle « Urbainistique » du front des employeurs flamands. Qu’un pacte de Vilvorde encore bien équilibré ait pu sortir pour la Flandre de 2020, avec un grand nombre de nouveaux repères sociaux et écologiques, à partir d’autant d’obstination arrogante peut être considéré comme un petit miracle. Il faudrait que ce soit un tournant dans la responsabilité réciproque des uns envers les autres. Pour regarder ensemble, non seulement la «Flandre après la crise» (titre du livre récent de Vandeurzen) mais aussi la Flandre en crise. Voyons maintenant comment nous pouvons adoucir cette crise. Et ce que les entreprises peuvent faire en évitant des licenciements. D’abord et avant tout en n’utilisant pas la crise comme prétexte pour la mise en oeuvre de dossiers de restructuration qui se trouvaient déjà depuis longtemps dans les armoires sans être vraiment nécessaires pour la survie de l’entreprise. Ensuite en reportant les licenciements le plus longtemps possible via le chômage temporaire. Et enfin en soutenant le pouvoir d’achat et le meilleur accompagnement de licenciement possible pour toutes les victimes des réductions de capacité. Et tâchons d’examiner dans un seul élan comment nous pouvons prendre une nouvelle mesure de transition pour les travailleurs qui ne peuvent pas, ou plus, être mis en chômage économique, par des formules de réduction du temps de travail. C’est le mérite de Groen ! de les avoir récemment dépoussiérées. Même si je n’évoque pas ici leur variante durable, mais bien les formules ciblées réversibles de redistribution temporaire du travail, avec un maintien maximal du pouvoir d’achat, par une intervention partagée des employeurs et des pouvoirs publics. Les réductions existantes d’ONSS pour redistribution du travail, maintenues dans la proposition des partenaires sociaux fédéraux concernant la simplification des plans d’embauche et les primes flamandes d’encouragement des entreprises qui évitent des licenciements collectifs par la redistribution du travail, ont été peu utilisées ces dernières années, mais pourraient sans aucune adaptation rendre de nouveau de bons services, surtout si elles sont renforcées par des interventions sectorielles, tout comme les secteurs interviennent aussi aujourd’hui dans le chômage temporaire.

Transformer c’est choisir

S’il est vrai que dans l’économie flamande on a si peu transformé et innové, d’où cela vient-il ? Essayons d’examiner cela ensemble. Je vois en tout cas quatre raisons. La première, c’est que nous n’osons pas faire des choix. Ou plutôt parce que le gouvernement flamand et les employeurs flamands pendant longtemps n’ont pas voulu faire des choix. Je me souviens encore comme si c’était hier des débats que nous avions lors de Conférence sur l’Entreprise du précédent gouvernement flamand fin 2003. Celui-ci arrivait à l’époque en fin de mandat mais Bart Somers voulait une dernière fois faire ses preuves, à la veille des élections, à l’égard des entrepreneurs flamands. C’est alors la CSC flamande qui demanda de ne plus distribuer largement les rares moyens des pouvoirs publics, mais d’avoir un débat sur les secteurs et sous-secteurs de l’avenir et de les concentrer sur ceux-ci. Ce qui se fait aussi dans d’autres pays. Ce qui se passe entre-temps aussi en Wallonie avec le plan Marshall. Et ce qui se passe aussi de facto partiellement en Flandre, mais sans vision stratégique et en étant à cause de cela trop le jouet des lobbies économiques et des favoritismes politiques. Cette proposition est tombée comme un cheveu dans la soupe. D’abord auprès du Voka, qui avait entre-temps commencé à se passionner pour le concept d’innovation ouverte, tellement ouverte qu’ils n’étaient quasiment plus ouverts à d’autres débats. Et ensuite auprès du nouveau gouvernement. Il y avait bien une petite phrase dans l’accord de gouvernement flamand de 2004, qui aurait permis de s’y référer pour relancer le débat, mais par la suite il y a eu le refus tout net de Fientje Moerman À l’époque, ministre flamande de l’Économie (Ndlr) entièrement alignée sur la doctrine Reagan (voir plus haut) : ce n’est pas l’autorité publique qui doit faire des choix mais le marché, parce que l’autorité publique est trop bête pour faire des choix. Patricia Ceysens Qui remplaça la ministre susnommée au gouvernement flamand (Ndlr) a l’air plus nuancée, mais n’a plus le temps, voire la crédibilité nécessaire pour un tel débat. Ce qui fait que nous avons à nouveau perdu cinq ans. Entre-temps, le Voka semble avoir changé de point de vue. Il embrasse en tout cas les choix qui ont été préparés au sein du Conseil flamand de la Politique scientifique. Ce qui fait qu’il y a peut-être quand même une base pour un débat ouvert au début de la prochaine législature. En second lieu, nous devons quand même examiner en profondeur l’efficience de tout le dispositif de la politique scientifique et de l’innovation, aussi bien en Flandre qu’au niveau fédéral. Car on peut quand même difficilement alléguer que les pouvoirs publics n’ont pas bougé, qu’il n’y a pas eu de gros investissements. Mais si cela a apporté aussi peu de changement d’ADN, comme le prétend le Voka, alors il faut étudier ce qui coince sur le plan de l’efficacité et de l’efficience. D’autant plus que le Conseil central de l’économie, dans son dernier rapport technique, a dû à nouveau constater que les investissements des entreprises dans la recherche et le développement n’ont pas augmenté en direction de la norme de 2% de l’Europe, mais ont continué à diminuer. En dépit des subventions publiques ? Ou précisément à cause des subventions publiques qui permettent aux entreprises de s’en remettre aux pouvoirs publics pour leurs propres investissements, comme nous le constatons par ailleurs pour les subsides à la formation ? Il y a déjà des éléments pour ce débat : le scepticisme du Bureau du plan à l’égard des réductions fiscales pour recherche et développement, et le rapport Soete critique à propos du dispositif de soutien à l’innovation. De telle sorte que cette discussion doit pouvoir démarrer vite avec le nouveau gouvernement flamand. De préférence aussi avec le gouvernement fédéral en ce qui concerne les incitants fiscaux et parafiscaux. En troisième lieu parce que le gouvernement flamand a toujours été un peu mou en matière de politique industrielle. En définitive, il y a bien eu une série de tables rondes pour des secteurs spécifiques, mais qui se transformaient trop souvent en demandes de réductions de charges fédérales et de flexibilisation ou de dérégulation. S’il y avait déjà des ébauches pour créer des leviers flamands (comme dans le plan pour le secteur automobile), c’est au niveau des mesures d’exécution que cela bloquait. Et quatrièmement : où en sommes-nous avec l’innovation écologique ? Sur ce plan, la crise actuelle a bien provoqué une catharsis : il y a une large prise de conscience du fait que nous évoluons vers un verdissement de l’économie, avec ses variantes d’éco-design, d’éco-innovation, de green jobs aussi. Mais cela nécessite des choix. Et une certaine radicalité. Avec le plus de résistance chez ceux qui reprochent surtout aux autres de rester accrochés au passé. Et qui, quand ils doivent eux-mêmes faire des choix, quand ils doivent concrétiser leur blabla sur la transformation et le renouvellement de l’ADN, deviennent les plus grands opposants à l’innovation. Parce qu’ils en viennent alors tout d’un coup au constat que choisir certains procédés, produits, et services écologiques, cela sous-entend qu’on ne recourt plus à d’autres procédés, produits et services… Le débat avorté avec les employeurs sur l’introduction des écochèques en est la parfaite illustration.