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Gauche radicale : les grandes manoeuvres

 

Maintenant, c’est clair : avec le vote par les diverses assemblées du traité budgétaire européen (TSCG), quelque chose s’est cassé entre le mouvement social et la gauche politique parlementaire. Cette rupture pèsera lourd dans la période électorale qui s’ouvre.

Ce traité qu’il aurait fallu rejeter[1.Voir notamment sur le site de Politique : Hakim Brezinski, « .L’alibi européen » et Gregory Mauzé, « .Le malaise de la gauche de gouvernement->http://revuepolitique.be/spip.php?article2727. », Politique, n°80, mai-juin 2013.] a finalement été voté sans enthousiasme par le PS et par Ecolo dans toutes les assemblées où ils faisaient partie des majorités[2.Avec quelques exceptions : à Bruxelles, la socialiste Sfia Bouarfa, et l’écolo Jean-Claude Defossé, tous deux en fin de carrière, ont voté contre, ainsi que la verte Céline Delforge. Quelques abstentions « symboliques » à Écolo : le chef de groupe Yaron Pesztat à Bruxelles, la liégeoise Véronica Cremasco à Namur, et quelques absences plus au moins diplomatiques au moment du vote, dont Catherine Moureaux (PS, congé de maladie) et Zakia Khattabi (Écolo, future tête de liste à la Chambre) à Bruxelles.]. Un geste qui ne passe pas dans la « gauche sociale » qui s’était mobilisée massivement contre le vote du traité. Ainsi, l’« alliance D19-20 » avait rassemblé dans ce but la FGTB et la CSC, les réseaux belge et wallon de lutte contre la pauvreté, le Mouvement ouvrier chrétien, Inter-Environnement-Bruxelles et des associations d’agriculteurs à côté de groupes plus pointus.

Aujourd’hui, pour les cadres du mouvement social, la possibilité d’un soutien à cette gauche extra-parlementaire n’est plus une option interdite.

Or, ces grandes organisations ont toujours entretenu des relations privilégiées avec la « gauche parlementaire », considérée comme son indispensable relais politique. Les principaux dirigeants de le FGTB sont toujours membres du PS et siègent dans les instances de ce parti. Pourtant, on n’imagine plus qu’aujourd’hui, après cet épisode, la FGTB puisse encore appeler à voter socialiste comme elle l’avait fait en 2009. Au Mouvement ouvrier chrétien qui n’a pas de prolongement politique naturel, on avait pris l’habitude de privilégier les trois partis de l’Olivier (PS-CDH-Écolo). Désormais, une autre approche prévaut. Alda Greoli, secrétaire nationale de la Mutualité chrétienne, la commente ainsi : « Il est grand temps de procéder à l’évaluation stricte des plus-values et des moins-values de l’Olivier. Il n’est plus interdit de s’approcher d’autres partis démocratiques. »[3.L’Avenir, vendredi 27 décembre.]. Elle mentionne bien le MR ou le FDF à Bruxelles. Mais, de façon bien plus crédible, cela concerne surtout les formations qui ont partagé l’hostilité du Moc au traité européen.

L’appel de Charleroi

Cette nouvelle donne ouvre évidemment un espace politique à la gauche du PS et d’Écolo. La gauche radicale[4.Voir « .Le retour de la gauche radicale », Politique, n°81, septembre-octobre 2013.] y trouve une légitimité autre que celle, volatile, des sondages. Aujourd’hui, pour les cadres du mouvement social, la possibilité d’un soutien à cette gauche extra-parlementaire n’est plus une option interdite. Ce soutien est le plus souvent discret – pas évident pour des organisations qui comptent des dizaines de milliers d’affiliés de s’acoquiner avec des formations qui restent électoralement marginales. Mais il est quelquefois public. C’est notamment le cas de la FGTB de Charleroi qui, en février 2013, assumait publiquement la rupture avec le PS. Rejoint par la CNE (CSC), il appelait alors de ses vœux la formation d’un « parti authentiquement anticapitaliste » qui relaierait les revendications du monde du travail. Plus : il prenait l’initiative d’amorcer le processus en réunissant les formations politiques concernées. Le genre d’invitation qui ne se refuse pas. Elles s’y sont donc rendues. Le Mouvement de gauche (MG), d’abord, fraîchement constitué, dont le président-fondateur, Bernard Wesphael, ambitionnait d’être le Mélenchon belge rassembleur. Ensuite, les petites formations issues des divers rameaux du trotskysme (dont la Ligue communiste révolutionnaire[5.Équivalent belge du Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot.]), qui ne faisaient plus le poids face à l’émergence du PTB. Et le PTB, justement. Depuis des années, il occupe le terrain et fait la course en tête. Radicalement relooké en 2008, il s’est habilement inséré dans la brèche qui s’est creusée entre le mouvement social et la gauche de gouvernement, ce qui lui a permis, depuis deux ans, de crever le plafond de verre médiatique. Aujourd’hui, de nombreux militants et intellectuels, qui n’ont rien à voir avec la généalogie mao-stalinienne de ce parti, le créditent d’avoir réussi à incarner la possibilité d’une alternative de gauche. Lentement mais sûrement, le PTB engrange et capitalise sur son propre sigle. Le parrainage de la FGTB de Charleroi, qui pourrait crédibiliser une initiative dont il serait le pivot, le forcera peut-être à donner plus d’espace à ses partenaires. Possibles surprises. Mais, dans la gauche de la gauche, tous ne se retrouvent pas dans ce processus. La FGTB de Charleroi doit prendre acte des rapports de force existants et devra donc entériner la primauté du PTB dans l’aire radicale. Certains ne s’y résignent pas. Ils considèrent qu’un leadership PTB conduira inévitablement toute alternative de gauche à l’échec. Car, à leurs yeux, malgré son aptitude à reprendre à son compte toutes les colères sociales, sa culture reste profondément marquée par sa matrice fondatrice : le PTB fut et resterait une formation communiste à l’ancienne, n’ayant jamais tiré les leçons des expériences du « socialisme réel » et des pratiques manipulatrices issues de la vulgate léniniste. C’est surtout dans la gauche écologiste et libertaire que le PTB provoque des réactions de rejet. Il serait donc nécessaire de faire apparaître un deuxième pôle dans la gauche radicale en profitant du coup de projecteur de la campagne électorale, d’autant plus que la déconfiture du MG, suite à la mise hors du jeu de son président, laisse un champ libre à l’intersection du rouge et du vert[6.Au sein du MG, la mise à l’écart de Bernard Wesphael a fait exploser les tensions qui s’y manifestaient auparavant entre ceux qui avaient milité à Écolo avec son fondateur et des anciens du PS, notamment autour de Francis Bismans et son groupusculaire « Mouvement socialiste ». À la midécembre, on apprenait ainsi que 30 « wesphaeliens », orphelins de leur chef de file, quittaient le MG pour adhérer à Vega.]. Laisser passer cette occasion reviendrait à perdre dix ans.

Decroly, le retour

Le noyau de l’hostilité au PTB se trouve à Liège. Notamment à la coopérative Vega, dont la percée aux élections communales a accompagné celle du PTB (un élu pour Vega, deux pour le PTB). Mais pas seulement. Dans une FGTB où la tradition du fédéralisme de combat d’André Renard est toujours vivante, l’unitarisme belgicain du PTB donne des boutons. Enfin, les contacts internationaux des centrales syndicales les poussent à travailler étroitement avec le Parti de la gauche européenne, qui n’est pas la référence du PTB. Les initiateurs de Vega avaient privilégié une première expérience sur le terrain local, mais sans perdre de vue l’étape suivante. La rencontre avec Vincent Decroly en fournira l’occasion. Après dix ans de retraite politique, l’ancien secrétaire fédéral d’Écolo a conservé la sympathie de nombreux écologistes qui regrettent la normalisation de leur (ancien) parti. Mais sa notoriété, il la doit surtout à l’affaire Dutroux qui l’avait érigé en incarnation politique d’un « mouvement blanc » charriant le plus démocratique et le plus ambigu. À lire ses propos actuels, il revient sans doute moins « blanc » que naguère, mais à la fois plus rouge et plus vert. Cette notoriété en fera la figure de proue d’un nouveau Vega élargi, « mouvement politique écosocialiste », lancé au début décembre et qui se déploie d’emblée sur toute la Wallonie et à Bruxelles, histoire d’occuper le terrain. Le reste (programme, casting, stratégie) viendra plus tard[7.Une assemblée de lancement est prévue le 1er février à Charleroi.]. À gauche de la gauche, les cartes se distribuent. On ne sait pas encore comment elles seront jouées, qui sera candidat et où, si les deux initiatives se tireront dans les pattes ou si elles trouveront le moyen de « tirer ensemble dans la même direction ». Avec tous ces scrutins qui s’empilent, y aurait-il malgré tout de la place pour tout le monde ?