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Formation des profs : refondation

C’est sous l’étendard de la « refondation » que ça carbure Outre-Quiévrain. Vincent Peillon, le ministre de l’Éducation, a lancé début juillet une concertation-éclair qui doit se terminer fin octobre. L’école française avait bien besoin d’un électrochoc après le carnage des années Sarkozy. Et chez nous ? Figurez-vous que la « refondation » est à l’ordre du jour depuis 2009 ! En effet, la majorité en Fédération Wallonie- Bruxelles avait inscrit dans sa déclaration politique son ambition de « refonder la formation initiale et continue des enseignants ». On peut encore lire : « Le gouvernement s’engage à revoir et à améliorer la formation pédagogique des futurs enseignants… Face aux exigences du métier et aux besoins exprimés, cette refonte implique à terme un allongement de la durée des études à 5 ans ».

« La question de l’allongement éventuel doit être traitée en lien étroit avec l’ensemble des questions qui se posent actuellement, notamment celles de la redéfinition du métier. »

Dans sa grande sagesse, la déclaration précisait : « Cette refonte reposera sur une évaluation participative de la mise en œuvre de la précédente réforme et des besoins exprimés par les acteurs concernés ». Le ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, a confié cette évaluation à une équipe de sociologues des Facultés universitaires Saint-Louis, qui avait déjà produit deux remarquables rapports (hélas peu utilisés par les décideurs) sur les enseignements fondamental et secondaire. Depuis la fin février, le ministre et l’ensemble des acteurs disposent d’un document solide, fruit de longs mois d’auditions, de panels, de rencontres, de récits… Les témoignages recueillis et les analyses décrivent un terrain sinistré par les réformes successives qui n’ont jamais disposé des moyens de leurs ambitions. Mais ce qui apparaît le plus inquiétant, c’est le flou sur les finalités qui amène les évaluateurs à pointer comme priorité : « redéfinir le métier d’enseignant » V. Degraef, A. Mertens et J. Rodriguez, « Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles », mars 2011-février 2012. C’est effectivement indispensable pour définir ensuite des contenus, des méthodologies, une éthique…

Enseigner aujourd’hui ?

« C’est quoi enseigner aujourd’hui ? Le métier s’est considérablement transformé, l’enseignant doit jouer une diversité de rôles : il est transmetteur de savoirs, psychologue, assistant social, éducateur, médiateur. C’est l’image de l’enseignant aux multiples casquettes. Enseigner consiste à jongler avec ces casquettes dans la classe, dans la salle des profs, dans l’école, dans les réunions de parents, dans la vie en société. Pour exercer ces différents rôles, être en capacité de passer à toute vitesse de l’un à l’autre, l’enseignant doit maîtriser un large éventail de connaissances, des plus générales aux plus spécialisées ». Voilà qui a le mérite de rappeler combien le métier est complexe. On est loin des images d’Épinal encore répandues dans l’opinion. Loin des nostalgies entretenues ici et là. C’est évident, pour « jongler » avec ses multiples casquettes, le jeune enseignant aura bien besoin d’une solide formation initiale, profondément revue et corrigée. Néanmoins, il ne faut pas attendre un « produit fini » au terme de cette phase de la formation. C’est pourtant encore très souvent le cas. Il s’agira ensuite d’accompagner « l’entrée dans le métier » des enseignants débutants dont les témoignages sont vraiment poignants… et qui abandonnent le métier massivement au cours des premières années. Parmi d’autres analyses intéressantes, je relève un point-clé des « perspectives » : préparer les futurs enseignants à leur rôle d’« acteur social ». « Son expérience de la vie collective hors école et sa confrontation avec une réalité différente de celle de son milieu d’origine sont tout aussi importantes que sa formation strictement scolaire. De ce point de vue, l’acquisition du métier commence en amont de la formation initiale, mais elle doit y rester une préoccupation centrale. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains proposent qu’une partie des stages puisse être effectuée en dehors du cadre scolaire, dans des associations de quartier, des maisons de jeunes… Il s’agit de sortir les (futurs) enseignants de l’école et de les former autant au dehors qu’au sein de l’école ».

Quelles suites ?

On le sait, le débat risque de se focaliser sur la durée (5 ans) et sur le(s) lieu(x) de la formation (Hautes écoles/ Universités). Ajoutez-y – ce n’est les enseignants au barème des licenciés. Et encore l’aggravation de la pénurie à prévoir faute de diplômés pendant 2 ans (passage de 3 à 5 ans de formation). Du grain à moudre pour les amateurs de tuyauteries compliquées… Les sociologues avertissent : « La question de l’allongement éventuel doit être traitée en lien étroit avec l’ensemble des questions qui se posent actuellement, notamment celles de la redéfinition du métier, des finalités et missions spécifiques de la formation initiale dans l’ensemble du système scolaire, et de sa cohérence. Celle-ci ne résultera pas d’une seule restructuration synchronique. .…. Elle doit être pensée comme un processus collectif et temporel, qui fait appel aux capacités des acteurs, avec une hiérarchisation des priorités, une identification des leviers de changement susceptibles d’entraîner des effets en chaîne, une feuille de route avec un calendrier et les principales étapes ». On s’attendait donc à ce que le ministre Marcourt entretienne la dynamique enclenchée par l’évaluation participative et fixe un calendrier serré. On n’a rien vu venir ! Pourtant il y a urgence. Même dans la majorité, certains s’impatientent… et soupçonnent le ministre de temporiser pour laisser ce dossier chaud à un autre, en 2014. On n’imagine pas que les acteurs concernés puissent accepter pareil report. Certes ils peuvent se lancer dans quelques initiatives audacieuses sur le plan local en s’inspirant des lignes de force de l’évaluation. Mais c’est une « révolution » qui est attendue et indispensable. Elle requiert une mobilisation d’une ampleur tout à fait inédite : « Ne pas accepter le système institutionnel, tel qu’il fonctionne, comme une donnée inébranlable ; ne plus accepter un système où la capacité de bloquer et d’imposer des vétos est beaucoup plus grande que la capacité de faire bouger structurellement et profondément les choses. Bref, mettre dorénavant autant d’énergie à transformer le système institutionnel qu’à former les acteurs ». Ils n’y vont pas de main morte les évaluateurs ! Le ministre et les autres acteurs auront-ils ce courage ? Dans cet esprit, pourquoi ne pas soulever une autre question ? À quand un(e) seul(e) ministre pour notre enseignement ? Dans le cas présent, beaucoup de problèmes soulevés concernent autant l’enseignement obligatoire que l’enseignement supérieur. À commencer par l’accompagnement des débutants et la question cruciale du statut des maîtres de stages. Mais, au-delà, comment justifier, dans une petite communauté comme la nôtre, deux ministres (dont l’un à manifestement d’autres priorités), deux cabinets, deux approches concurrentes ? Donc des lenteurs, des incohérences, des gaspillages, des compromis boiteux, des silences complices… Et cela dure depuis des décennies et cela explique, pour une bonne part, les maladies de notre système scolaire. Basta ! On peut rêver d’une autre politique, non ?