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Ernest Glinne, socialiste authentique…

Il nous a quitté inopinément, au milieu du mois d’août, à l’âge de 78 ans. Le meilleur moment pour que l’événement passe un peu inaperçu, en particulier du PS, dont le président s’est contenté d’un bref commentaire d’hommage au grand «progressiste»… Dans la série des nécrologies parues dans Le Soir du vendredi 14 figurait en bonne place le faire-part de Martin Schulz, actuel président du groupe socialiste au Parlement européen, s’agissant de celui qui avait occupé cette fonction de 1979 à 1984, et été député européen du PS presque sans interruption de 1968 à 1994. Mais du PS d’aujourd’hui, en tant que tel, rien. Ah, c’est vrai !, Ernest Glinne, à force de déceptions, avait fini par se séparer d’un parti dans lequel il ne se reconnaissait plus, durant ces années nonante où l’idéologie néolibérale gangrenait tout. Il avait joué les utilités à Ecolo, comme indépendant. Indépendant : ce qu’il avait toujours été, face au lourd «appareil» social-démocrate, face au sectarisme comme à l’opportunisme. Le premier faire-part du 14 août, sous-titrant son nom de la mention bien connue «Ernest le rebelle», s’ouvrait sur deux pensées, l’une de Jean Jaurès, l’autre de Rosa Luxembourg. (Parfaite synthèse de la pensée socialiste actualisée…). Il avait fait irruption dans la «haute» politique belge en étant élu député de Charleroi aux élections de mars 1961, celles qui suivent la grande grève. Mais déjà, il joue un rôle d’influence dans les affaires belgo-congolaises. Il est à Léopoldville lors de l’indépendance. Anticolonialiste, il n’est pas dupe pour autant des illusions d’une partie de la gauche sur les «luttes de libération nationale» censées déboucher sur des lendemains qui chantent, ce que l’Histoire a totalement démenti… Député, il ferraille avec Spaak, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Théo Lefèvre. Il anime un groupe de députés socialistes «rebelles», dont fait partie à l’époque André Cools. Il apporte une contribution brillante à l’hebdomadaire La Gauche, dont le trio dirigeant est composé par Ernest Mandel, Jacques Yerna et lui. Tous disparus maintenant. On a pu gloser, après le «congrès des incompatibilités», sur le ralliement de Glinne, en février 1965, à un compromis négocié avec le Bureau du PSB sur le droit de tendance et ses limites. C’était une attitude réaliste : Ernest voyait très bien la grande dissidence socialiste de gauche partir en quenouille, minée par les malentendus sur le but poursuivi, par le jeu purement wallingant d’un François Perin. Inversement, les tentatives pour reconstruire dans le PS un courant de gauche structuré, auxquelles Ernest a donné son appui, étaient vouées à l’échec.

Un anti-système

On peut en venir à ce fameux congrès de février 1981 marqué par l’affrontement pour la présidence du PS entre Guy Spitaels et Ernest Glinne, qui obtinrent respectivement 295 et 272 voix au premier tour, 311 et 282 au second. Si les reports de voix avaient été effectués correctement entre les sections et les fédérations, si d’ailleurs la base avait été correctement consultée partout, bref si les dés n’avaient pas été pipés, l’issue eut été autre. On assista, après la démission-surprise d’André Cools, à une sorte d’union sacrée du parti «d’en haut» contre le parti «d’en bas», les grands mandataires redoutant que la présidence soit occupée par un homme «imprévisible», c’est-à-dire capable de faire passer des principes avant des intérêts immédiats (qui convergent toujours vers la participation gouvernementale…). Et d’ailleurs : si à cette époque l’élection s’était faite au suffrage universel de tous les membres, comme c’est le cas depuis 1999, nul doute aussi que l’issue eut été autre ! Il reste à s’interroger sur la question de savoir s’il n’a pas valu mieux pour Ernest lui-même qu’il ne soit pas pris dans les rets d’un pouvoir de type présidentiel à la tête d’un parti de style présidentiel… Fédéraliste mais non wallingant, il fut encore de ceux qui, longtemps, ne se résignèrent pas à l’affrontement communautaire des socialistes du nord et du sud du pays. Les réformes institutionnelles l’avaient déçu. Et il y a quelque dérision dans le fait que cet internationaliste avait fini par conclure que la Belgique était sans avenir… Le député européen. Bien avant les autres, il avait refusé le cumul du mandat national et du mandat européen. La loi lui donna raison en 1984, mais on ne lui sut pas gré d’avoir eu raison avant les autres. Glinne avait obtenu 51 000 voix de préférence en 1979. Il faisait son travail de parlementaire européen à Bruxelles ou à Strasbourg, sans battre l’estrade à Charleroi, laissant s’éroder sa popularité. En 1989, il était relégué à la troisième place sur la liste, encore heureux qu’elle fut «sûre». Ce fut son dernier mandat au Parlement européen. Charleroi ! Le «système» et sa pyramide, un système qui a débouché sur les multiples affaires d’abus de pouvoir qui ont éclaboussé le PS. Ernest a été l’anti-système. Oui, un socialiste authentique.