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Épique Équipe ou l’Équipe type ?

L’Équipe fleure toujours bon la France et les vacances. Dans le temps, le lundi, elle avait même la couleur du pastis. Aujourd’hui, chaque jour, à chaque page, L’Équipe est multicolore, mais elle reste le quotidien national le moins cher de France : 1,10 euro depuis le 1er juillet. Un journal à lire sans modération, un bon moyen de faire du sport en chaise longue. Le sport, il n’y a que ça dans L’Équipe . Mais ce choix éditorial n’est jamais complètement assumé. L’Équipe passe son temps à faire le grand écart entre le rêve et la réalité, ou plus exactement entre la mythologie et la trivialité sportives, comme si l’une n’allait pas sans l’autre. L’Équipe accepte difficilement que le sport appartienne à son époque, qu’il soit un produit, un enjeu social, un système de représentation. Elle voudrait tant qu’il n’y soit question que de gloire et d’héroïsme, de sublimation, de dépassement de soi, d’harmonie, de pureté, de loyauté. Elle voudrait tant que le Tour ne soit qu’épopée, que les Coupes du monde et les Jeux olympiques ne soient que des fêtes de la fraternité universelle, les victoires des conquêtes et les défaites d’admirables tragédies. Et elle fait tout pour qu’il en soit ainsi, elle manie tant qu’elle peut le dithyrambe et le panégyrique. Mais voilà… elle a beau s’évertuer, il y a des nouvelles qu’elle ne peut taire, et qu’elle traite alors à regret, comme s’il s’agissait là d’une agression soudaine, extérieure à son monde merveilleux, ou d’un dangereux parasite dont il faudrait vite se débarrasser. L’Équipe sépare alors immédiatement le Mal du Bien, et devient elle-même schizophrène. L’autre jour, elle nous apprenait que Laurent Jalabert se dopait à l’EPO dans les années nonante. Voyez-vous ça, Jalabert ! Le bon Jaja, jamais pris à l’époque. Jalabert, l’idole des foules françaises et de L’Équipe , devenu consultant pour France 2 et sélectionneur des équipes de France au Championnat du monde cycliste. Jalabert est passé illico du Bien au Mal. Fini, rayé de la liste des héros, pfft, en une seconde, tout ça à cause d’un prélèvement d’urine lors du Tour de France 1998. Et puis, à côté de cette nouvelle, comme si de rien n’était, comme si l’on repassait simplement dans l’autre monde, des pages exaltantes sur le Tour 2013 que l’on nous promettait sublime, forcément sublime : épopée oblige… Avec le Brésil, on n’a pas fini de voir L’Équipe se contorsionner. Le Brésil, c’est le foot voyons ! Cinq victoires en Coupe du monde, le roi Pelé, la Seleçao, le futebol samba, les supportrices en string, le temple de Maracana et le graal du Mondial 2014 : de quoi remplir pendant un an encore des centaines de pages du journal. Et puis voilà que le cliché se fendille, et que tout se complique pour L’Équipe. Figurez-vous que ces Brésiliens ne sont pas tous à jouer à la balle sur la plage de Copacabana ! Il en est même qui protestent contre le Mondial et les Jeux de Rio en 2016. Mais ce n’est pas leur plaisir qu’ils boudent soudainement, ils sont simplement lucides sur le foot et le sport, sur leur dimension politique, économique, sociale. Ils contestent les diktats de la Fifa qui impose sa Lei geral à l’État brésilien, piétinant sa Constitution et mettant ses lois entre parenthèses le temps de jouer le Mondial. Ils contestent la financiarisation du CIO qui va créer une « bulle olympique » au Brésil avant d’aller faire ses affaires ailleurs, à Istanbul, Madrid ou Tokyo : vaste programme ! Autant de lieux qui promettent d’autres turbulences. Les manifestants brésiliens forment peut-être une avant-garde. Leur mouvement pourrait en annoncer d’autres. Dans L’Équipe , ils n’ont eu droit jusqu’ici qu’à des entrefilets. Forcément, ils appartiennent au camp du Mal, ils n’entrent dans le champ de vision du journal que par effraction. L’Équipe espère bien ne plus les voir jusqu’à la Coupe du monde, et continuer à le raconter, ce monde, à sa façon vacancière.