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Embrasement sur le front secondaire

‘‘Ce soir, nous avons la chance de recevoir une invitée qui vient de Paris, en direct de la « Manip’ pour tous ». Ici, nous avons du mal à comprendre comment la France peut s’embraser devant une menace imaginaire, mais vous allez nous l’expliquer. — En effet ! Il s’agit de choses sérieuses ! Tenez : commençons par un petit jeu des sept familles. Nous partons évidemment du principe qu’un enfant a droit à un papa bleu et à une maman rose. Allons-y donc : pour moi, la famille c’est un papa, une maman, deux enfants, une maison, une voiture, un chien. À vous ! — Un papa, une maman, deux enfants, une mémé qu’on va voir une fois par an dans sa maison de retraite, mais on est gentil, on garde son chien, ça occupe les enfants. — Un papa, une maman, deux enfants, le papa qui bat la maman, la maman qui crie sur les enfants et les enfants qui donnent des coups de pied au chien. — Un papa qui ne paie pas la pension alimentaire, une maman qui doit revendre la voiture, se débarrasser du chien et compter sur Viva for Life[1.Opération de charité de la radio-télévision publique belge francophone au bénéfice des « bébés pauvres ».] pour nourrir ses enfants. — Un papa qui a perdu son boulot, une maman qui ne s’en sort pas avec son temps partiel, qui doivent donc revendre la voiture, et pour les enfants et le chien, voir plus haut. — Un papa, une maman, qui se séparent juste pour ne plus devoir vivre avec des allocations réduites de cohabitants. — Un papa, une maman, deux enfants, sans papiers, dormant dans une église glacée, détestant les chiens forcément policiers, et la peur d’être renvoyés dans un pays en guerre. — Et voilà, nous y sommes ! Vous avez cité rien que des familles normales, et pourtant, quelle belle diversité ! On prétend que nous ne défendons qu’un seul modèle familial : c’est faux. Mais là où nous ne sommes plus d’accord, c’est quand on menace de renverser les rôles. Vous imaginez un coq pondeur, un taureau donnant du lait, une biche qui se réveille un matin affublée de cornes… Non ! Les XX d’un côté, les XY de l’autre, et les chromosomes seront bien gardés. Voilà le sens de notre combat. — C’est quand même extraordinaire que tout cela se passe dans la France républicaine, laïque et donneuse de leçons d’égalité au monde entier. Et que, face à ces délires, cette République à trémolos soit incapable de tenir tête alors que, selon les sondages, cette frilosité est minoritaire[2.Même pour l’ouverture aux femmes lesbiennes de la PMA (procréation médicalement assistée), l’une des bêtes noires des manifestant-e-s, un sondage donne 57% d’opinions favorables (Le Parisien, 4 février 2014).]. Et au lieu de clamer haut et fort les valeurs d’égalité entre les genres, entre les sexualités, voilà la République qui se fait toute petite et qui ne cesse de s’excuser : parler d’homosexualité aux enfants ? Mais quelle horreur ! Qu’ils continuent à se traiter de « pédé » dans la cour de récré, c’est juste pour rire… Expliquer comment les différences entre hommes et femmes sont socialement construites ? Vous n’y pensez pas ! Qui sait à quelles dérives ça peut mener ! Des papas-poules et des mamans cheffes d’État ! Protégeons nos bébés et nos discriminations ! — En tout cas, quelle belle leçon pour celles et ceux qui s’accrochent encore à l’idée d’un combat principal, qui ne serait qu’économique : oui, les questions de genre sont un sujet éminemment politique. Et non, ce ne sont pas des « fronts secondaires »… ou alors des fronts de batailles à haute intensité !