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Durant-Lamberts : choisir, c’est renoncer

Le 19 octobre, Écolo désignait sa tête de liste pour l’Europe. 325 militants ont voté pour Philippe Lamberts, 270 pour Isabelle Durant. De nombreuses analyses ont tenté d’expliquer ce choix…

Elles ont essentiellement mobilisé le registre de la balle dans le pied et de l’écologiste coupeur de têtes. La cause d’un vote qui n’apparaît surprenant que pour qui n’a pas de connaissance approfondie des dynamiques à l’œuvre au sein du parti n’est sans doute pas à chercher dans une volonté de revanche de la base contre l’appareil mais, plus positivement, dans l’appréciation des mérites respectifs des deux candidats et de la tonalité que chacun était susceptible d’imprimer à la campagne.

De l’avis général, deux excellents candidats se présentaient, qu’une écrasante majorité des militants souhaitaient voir figurer aux deux premières places.

De l’avis général, deux excellents candidats se présentaient, qu’une écrasante majorité des militants souhaitaient voir figurer aux deux premières places – le désaccord ne portant que sur l’ordre d’apparition. Des parcours très différents. Durant, davantage considérée comme une professionnelle de la politique, ancienne ministre, ancienne coprésidente d’Écolo, ancienne sénatrice, députée européenne, conseillère communale. Lamberts, membre du parti depuis 1991, ancien conseiller communal anderlechtois, mais aussi président du Parti vert européen, a travaillé pendant 20 ans comme cadre chez IBM. La qualité du travail de chacun au cours de leur mandat européen est reconnu chez Écolo mais aussi dans les autres partis et à l’étranger.

Les arguments des analyses politiques

Réalos vs fundis. Le premier argument avancé pour expliquer cette victoire émanerait d’une résurgence du combat entre réalos et fundis. Cette analyse, basée sur des réalités écologistes de la fin des années 90, omet totalement l’évolution d’Écolo au cours des dix dernières années. Les réalos ont gagné il y a longtemps. Même s’il reste quelques fundis, ils n’étaient certainement pas 325 le 19 octobre, et ce n’est pas eux que semblait viser le discours de Philippe Lamberts. L’appareil vs les militants. Les militants, selon certains analystes, auraient choisi Lamberts pour contrer l’appareil. Mais qu’est-ce que l’appareil ? Doit-on intégrer dans cet appareil les parlementaires, les mandataires, les responsables locaux, les conseillers politiques, les ministres ? Dans la salle le 21 octobre, un grand nombre de militants présents se retrouvent dans une de ces appellations, notamment en raison de la règle écologiste de non-cumul qui favorise le partage des mandats. Il faut également souligner que cette primaire, qui était la répétition de celle qui avait eu lieu entre les deux mêmes pour la tête de liste en 2009, s’est déroulée dans des conditions très différentes. Autant, en 2009, des pressions explicites avaient été appliquées contre ceux qui entendaient soutenir publiquement la campagne de Philippe Lamberts, autant cette campagne-ci semble avoir été menée dans un contexte beaucoup plus neutre. Si on peut supputer que certains se sont abstenus de soutenir ouvertement Philippe Lamberts par peur de représailles à l’heure de la confection des listes, cette abstention tient plus de l’intégration d’une contrainte implicite que de l’obéissance à des ordres ou des consignes explicites. La stratégie d’Isabelle Durant. Devant les militants, comme devant la presse, Isabelle Durant a expliqué qu’elle briguait uniquement la tête de liste, pas la seconde place. Lors de l’Assemblée générale, de nombreux militants lui ont demandé une ouverture sur cette question, y compris après l’élection de Lamberts. Sans succès. Cette stratégie, osée, a pu susciter un vote-sanction de la part de certains militants. C’est clair. Mais voir cette stratégie comme unique interprétation du résultat serait omettre tous ceux qui, face à la stratégie de Durant, ont craint son absence sur la liste et ont choisi de voter pour elle, parfois à contrecœur. Bien sûr, il est impossible de faire un calcul exact sur cet aspect, mais le doute est grand. In fine, l’interprétation la plus plausible est que ce « chantage » ait eu un effet neutre. Mais si aucun de ces arguments n’explique ce choix, pourquoi avoir choisi Lamberts ?

L’hypothèse des priorités ?

Philippe Lamberts est surtout connu pour son travail sur les banques. Le journal Le Monde l’a surnommé « L’ennemi public numéro 1 de la City ». Dans les nombreux débats qui ont agité la campagne interne, les banques et la régulation financière mais aussi la fiscalité revenaient très fréquemment. Les thématiques travaillées par Lamberts au parlement européen, axées sur le socio-économique, ne sont pas considérées comme les matières de prédilection des Verts et il est vrai que le positionnement actuel du parti en la matière n’est pas des plus lisibles. D’une certaine manière, la candidature de Lamberts incarnait une ligne claire sur cette question, plus marquée à gauche et plus offensive, probablement plus en phase avec les positions des membres du parti. Bon nombre d’écologistes estiment que face au marasme économique et à la détresse sociale actuels, l’enjeu socioéconomique doit être la première priorité de cette campagne électorale. En désignant Philippe Lamberts, c’est l’urgence de ce combat qu’ils choisissent de mettre en avant : un certain choix de priorités et un certain type de discours sur ces priorités. Le positionnement du candidat à la pointe du combat contre le traité budgétaire européen a également dû peser dans le choix de beaucoup.

Pourquoi cette hypothèse serait plus crédible que les autres ?

D’une part, parce que les militants qui ont voté pour Lamberts se retrouvent dans toutes les sphères d’Écolo. Des parlementaires, des mandataires locaux, des conseillers politiques, de « simples » militants se retrouvaient dans les deux camps. La diversité géographique est également forte. Des Wallons, qu’ils soient du Hainaut, du Luxembourg, de Liège… et des Bruxellois de part et d’autres. Des personnes étiquetées à gauche, d’autres qui le sont moins se retrouvaient soit dans les propos de Lamberts soit dans ceux de Durant. Cette explication ne satisfera peut-être pas tout le monde mais nous semble en tout cas plus crédible, moins manichéenne, et surtout moins partisane que toutes celles que nous avons pu lire. Elle a également la force de ne pas plaquer des concepts éculés pour expliquer une décision collective.