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Des différences troublantes

Les élections du 25 mai 2014 permettent des comparaisons intéressantes entre les niveaux de pouvoir et les comportements des électeurs à chacun de ces niveaux. Représentons les résultats des partis aux différentes élections en prenant comme indice 100 ses résultats à la chambre, en voix et en les comparant aux résultats aux élections européennes d’un côté, aux élections régionales (nous totalisons les élections wallonnes, germanophones et bruxelloises pour les partis francophones et les élections flamandes et bruxelloises pour les partis néerlandophones, étant donné qu’aucun parti germanophone n’est intégré à un parti flamand) de l’autre.

L’interprétation du tableau ci-joint doit se faire en tenant compte de deux variables : la stratégie des partis illustrée par les choix de candidats populaires pour l’un ou l’autre scrutin, d’une part, et le comportement des électeurs distribuant leurs voix différemment à l’une ou l’autre liste le même jour de scrutin. En lisant les noms des candidats européens de la N-VA, on est tenté de croire que le parti séparatiste a choisi de privilégier les élections flamandes et fédérales puisqu’aucun poids lourd ne se présente pour siéger à Strasbourg. Du côté des électeurs, on peut se dire également que la N-VA se distingue moins quant à la politique européenne qu’elle ne se distingue dans le discours fédéral ou régional et elle obtient nettement moins de voix que son résultat à la chambre où elle a placé ses champions.
L’Open VLD semble récolter aux élections européennes les fruits de la campagne de Guy Verhofstadt, fédéraliste européen convaincant, co-auteur avec Daniel Cohn-Bendit d’un Debout l’Europe vibrionnant. Les écarts sont moins marquants pour les quatre partis suivant en ordre de grandeur fédérale : le CD&V réussit mieux à l’Europe et aux régions qu’au fédéral tandis que le PS obtient à l’inverse un meilleur résultat au fédéral, que le MR a un résultat étonnamment stable et que le SPA est un peu plus faible au niveau européen. Les écarts recommencent à grandir avec les plus petits partis : Groen, Écolo, le Vlaams Belang et le PP obtiennent
des résultats significativement meilleurs au scrutin européen à l’inverse du CDH, du PVDA et des FDF dont le premier performe mieux à la région et les derniers au fédéral. Ici, les explications structurelles pour les partis verts et personnelles pour les autres partis doivent être mobilisées.
Les Verts obtiennent d’habitude de meilleurs résultats au scrutin européen, considéré comme moins décisif que les scrutins proches tandis que les autres partis dépendent plus probablement des candidats mobilisés en tête de liste : Gerolf Annemans pour le VB et Luc Trullemans pour le PP ou des personnalités moins connues dans les autres partis.
Pour relativiser ces chiffres, notons que la moyenne des différences entre les résultats européen et fédéral en pourcentage des électeurs inscrits au scrutin fédéral n’est que de 0,9% et que cette moyenne n’est que de 0,2% en ce qui concerne les différences entre les résultats régionaux et fédéral. Autrement dit, ces variations qui apparaissent importantes quand on les rapporte au résultat de chaque parti deviennent négligeables quand on les compare au total des électeurs. Ceci constitue-t-il une leçon politique ? Oui, une petite.
Elle enseigne que les partis proposent et que les électeurs choisissent, principe de base de la démocratie représentative que certains semblent oublier quand ils évoquent les tactiques électorales.

Autre petite leçon : le MR peut prêter à rire quand il parle de coalition de perdants : il a gagné 0,14% à l’Europe, 0,36% au fédéral, quand même 3,28% en Wallonie et a perdu 6,78% à Bruxelles (avec les FDF qui obtiennent 14,8%). Mais si on se contente de rire de son orgueil flétri, on doit aussi se poser des questions sur les stratégies de ceux qui les ont «poussé» à l’alliance que je m’étonne de ne pas entendre plus souvent qualifiée de «droite» plutôt que «kamikaze» ou «suédoise». En coupant tout espoir des libéraux de partager le pouvoir régional et communautaire, le PS a favorisé ceux qui cherchaient à « renverser le centre de gravité politique ». Le calcul pourrait même être analysé comme machiavélien : pousser le MR à courir une alliance de droite qui prendra la responsabilité de montrer au peuple de gauche qu’effectivement, «sans les socialistes au pouvoir, c’est pire». Et recoudre une virginité au PS dans l’opposition laissant la droite prendre les mesures que les dirigeants socialistes pensent indispensables mais que leur électorat refuse, comme lors de l’opération vérité en automne 1960, en action commune, permettant au PSB de revenir au pouvoir en mars sans toucher aux mesures de la loi unique, comme lors des grèves du vendredi sous Tindemans en 1977 permettant au PSB de participer au gouvernement suivant ou aux grèves contre Martens-Gol qui ont donné corps au slogan du « retour du cœur » en 1987. Mais comment pourrait-on imaginer le duo Di Rupo–Magnette céder à des pensées aussi tordues ?