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Conflits importés et diasporas

« Vous importez le conflit ! » Le propos sonne comme un reproche. Sous entendu : le conflit dont vous vous faites l’ambassadeur en Belgique ne concerne pas notre paisible petit pays. Laissez-le en dehors de tout ça.
Ce n’est évidemment pas notre point de vue. « Importer le conflit » : n’est-ce pas ce que les progressistes ont toujours fait, par exemple quand ils ont pris fait et cause et manifesté dans les rues pour le FLN algérien, l’ANP sudafricaine, l’Unité populaire chilienne, le FNL vietnamien, contre Franco ou contre les colonels grecs ? N’est-ce pas la solidarité qui « importait le conflit » en ne laissant pas les colonialistes et autres fascistes accomplir leur sale besogne dans l’indifférence générale ? Cette solidarité a pris quelquefois des formes
violentes. On se souvient de heurts avec la police, de drapeaux brûlés. Mais on ne se souvient pas qu’on ait reproché aux manifestant·e·s d’avoir « importé le conflit ».
Cette expression est datée et parfaitement codée. Elle fut adressée aux Arabes et aux musulman·e·s d’Europe qui, à l’occasion des multiples opérations militaires israéliennes, sont sorti·e·s de leur discrétion en manifestant leur solidarité avec le peuple palestinien d’une manière qui fut parfois jugée trop peu distinguée. Comme si les personnes issues de l’immigration n’avaient pas autant de droits que les « Belgo-belges » d’exprimer leur opinion avec leurs mots à eux.
Mais de quelle façon ? Car si les conflits peuvent assurément être « importés », ils doivent en même temps être transposés. La Belgique n’est pas leur champ de bataille et la violence contre les biens et les personnes n’est pas de mise ici.
C’est surtout au sein de certaines diasporas, restées étroitement connectées aux pays d’origine, que cette distinction n’est pas toujours bien perçue, comme dans le cas turc. Mais la présence d’une population dont le cœur et l’esprit se partagent entre « là-bas » et « ici » n’est-elle pas une caractéristique désormais durable de nos villes cosmopolites ?
Pour cette raison, les conflits qui agitent l’humanité partout sur la planète trouveront toujours un prolongement chez nous. Et c’est très bien ainsi.

Israël-Palestine, le conflit central
Entre le 4 janvier et le 14 février 2009, Henri Goldman a tenu la chronique d’une mobilisation inédite autour de la cause palestinienne à la suite du lancement de l’opération « Plomb durci » par Israël contre Gaza. Il y aborde tous les éléments rhétoriques propres à ce conflit. Suivent les témoignages diversement impliqués de Karim, d’Anaïs et de Sharon.
Ouardia Derriche décortique l’implication des Belgo-Marocains dans le soutien à la cause palestinienne, tandis que Michèle Sibony analyse le rapport si singulier des Juifs de France avec Israël. Enfin, un débat s’engage autour du boycott universitaire d’Israël organisé par le Bacbi (Belgian campaign for an academic and cultural boycott of Israël). Henri Goldman y est favorable, Albert Maizel et Pascale Vielle y sont opposés tandis que Jean Vogel le soutient avec des nuances.

La Turquie d’Emirdağ à Schaerbeek
Mazyar Khoojinian et Doğan Ôzgüden dressent le tableau, particulièrement complexe, des clivages belgo-turcs. Puis Altay Manço élucide l’incontestable popularité du président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui semble encore plus forte dans la diaspora qu’en Turquie. Enfin, Gülsüm Alan décrit « l’importation de la haine » qui a visé les partisans de Fethüllah Gülen en Belgique après le coup d’État manqué du 15 juillet 2016. À ce propos, Basir Hamarat et Sema Aydogan livrent des témoignages en sens opposé.

Afrique, notre arrière-cour…
Plusieurs contributions tournent autour du récent conflit dans le Rif marocain. Hassan Bousetta décrypte le Hirak qui porte la protestation de cette région contre le pouvoir central tandis que Lahbib Fahmy détaille l’implication des Marocains de Belgique originaires du Rif. Deux témoignages, de Jamal et de Saïd, complètent le tableau. En contrepoint, Abderrahmane Cherradi, un vétéran de la gauche marocaine en Belgique, raconte l’histoire d’un engagement de plusieurs décennies qui éclaire d’une manière originale
les épisodes actuels.
Enfin, deux contributions nous parlent des conflits dans l’Afrique des Grands Lacs à travers leurs diasporas analysées par Kalvin Soiresse Njall (Congo) et Jean-François Bastin (Burundi).

Ce dossier a été coordonné par Hamza Belakbir, Maryam Benayad, Henri Goldman et Erdem Resne.