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Comment réformer la Justice ?

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4 mai 2018 : Une audience très ordinaire au Palais de justice…

[Texte de la chronique judiciaire de France Blanmailland publié dans le n°104 de POLITIQUE, juin 2018.]

Un matin au Palais. Les avocats se pressent à la barre. Deux tiers des affaires sont reportées. Un monsieur qui vient seul, apparemment pour la troisième fois, invective la juge, qui le prie de quitter les lieux en menaçant d’appeler la police…

Depuis le « plan justice » du ministre Geens, les petites et grandes réformes se succèdent : cour d’assises, procédure civile, autonomie de l’appareil judiciaire, réforme du barreau… depuis trois ans, juristes et Palais de justice sont en ébullition. Je m’interroge : une réforme pour la Justice ? Bien sûr, mais comment ?

Si on se base sur ce que semblent penser les citoyens, il y a de quoi baisser les bras : de 49 % d’insatisfaits en 2014 dans une enquête menée à la demande du Conseil supérieur de la Justice, on monte (ou on tombe…) à 53 % en 2016 lors d’un autre sondage. Pour ces sondés, la Justice est trop lente, trop chère, trop inégalitaire et même trop peu indépendante à l’égard du pouvoir politique…

Paradoxe : ces gens qui disent ne pas aimer la Justice s’adressent de plus en plus à elle et en attendent manifestement beaucoup, ceci expliquant d’ailleurs en partie cela.

Mais l’ampleur de la tâche est immense. Réfléchir à la meilleure manière de répondre à ce besoin de justice est un vrai défi. D’autant plus que le monde politique, au fond, se méfie de la Justice à peu près autant que l’opinion publique.

Qui va vouloir investir dans les moyens du troisième pouvoir ? La vraie droite n’aime pas trop ces juges qui empêchent de fonctionner sur base du seul rapport de forces. La tradition de gauche, même sans vraiment l’assumer, a dans son ADN la résistance aux lois qui sont le reflet d’une société inégalitaire, ce qui conduit logiquement à ne pas trop aimer ceux qui sont chargés de les appliquer. En plus, l’origine sociale de la magistrature en fait traditionnellement un milieu plutôt conservateur. Pour la majorité des justiciables – ceux qui se pressent au portillon des tribunaux –, l’expérience est globalement traumatisante : elle se fait au départ d’une faute, d’un conflit, en tout cas d’un problème, et elle implique de se confronter à un monde dont la langue et les codes sont généralement obscurs et qui souvent ne comprend pas les vôtres…

Bref, qui aime la Justice, à part le monde de la Justice lui-même ? Et qui, dans ce monde-là, accepte de se remettre en question, et de balayer devant sa propre porte ?

Face à une justice sous-financée depuis des décennies, le gouvernement veut encore faire des économies, et il y aurait beaucoup à dire sur chacune des réformes menées au pas de charge par l’actuel ministre. Elles visent entre autres l’« efficience », cet idéal de gestion supposé produire le maximum de résultats avec le minimum de moyens. Comment ne pas y souscrire ? Pour le droit des affaires, c’est incontestablement utile. Mais pour les gens qui se retrouvent en personne devant le juge, l’important n’est pas seulement d’avoir plus rapidement une décision correcte en droit. C’est aussi, et peut-être surtout, de mieux comprendre ce qui leur arrive et de se sentir respectés. Il n’est pas sûr que la mesure de l’efficience soit la meilleure manière d’approcher cet objectif…