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Comment parler du racisme ?

[Texte paru dans le n°105 de la revue Politique, septembre 2018 – « La chronique antiraciste de France Blanmailland »]

14 août 2018 : la presse évoque « le travailliste Corbyn à nouveau taxé d’antisémitisme »

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Sous ce titre, Le Soir raconte la lutte qui se mène, au sein du parti travailliste, et plus largement, depuis des mois déjà, contre sa direction. Celle-ci se fait régulièrement accuser, notamment par des journaux de la communauté juive britannique, de « miner, par son mépris envers les juifs et Israël, les valeurs et l’intégrité du parti ». En cause, pour l’essentiel, le refus de Corbyn d’adopter intégralement la définition large de l’antisémitisme que propose l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (IHRA ), laquelle reprend parmi les exemples d’opinions antisémites une série de jugements de valeur sur la politique israélienne. Corbyn est mis sous forte pression pour adopter une définition qui, objectivement, mène à assimiler antisémitisme et antisionisme, mais à laquelle, il faut malheureusement le rappeler, le Parlement européen avait déjà donné son aval il y a un an.

Cette nouvelle dérangeante, qui rappelait, en la replaçant dans son contexte, la polémique bruxelloise autour de Ken Loach, a fortement coloré mes réflexions à la lecture d’une autre polémique, flamande celle-là, qui s’était déroulée fin juillet dans les colonnes du Morgen.

Point de départ : la présentation par la N-VA de la journaliste Mia Doornaert, classée très à droite sur l’échiquier politique, comme présidente du VFL (Vlaams Fonds voor de Letteren). L’écrivain Bleri Lleshi a réagi en annonçant sa démission de l’institution, dénonçant tout particulièrement les positions prises régulièrement par Mia Doornaert, qu’il qualifiait d’islamophobe. S’en est suivi un débat public nourri. Au-delà du plaisir de constater qu’il y a des gens qui aiment débattre et que l’échange des idées ne se fait pas uniquement dans un cercle élitiste restreint, je me suis trouvée plongée dans un grand trouble, lié au parallélisme des deux questions, l’antisémitisme et l’islamophobie. Jusqu’où va la notion de racisme quand on le définit aussi comme « culturel », en considérant les valeurs de certaines cultures (les siennes propres, par hypothèse) comme supérieures à celles des autres ?

Combattre le racisme a toujours été pour moi la priorité des priorités, et le droit fait partie de l’arsenal à mobiliser. Le racisme revêt différentes formes. Dans un monde qui avait été bouleversé dans ses fondements par le nazisme, il était compréhensible que l’antisémitisme soit traité comme une forme de racisme particulier, à traquer où qu’il soit. Mais je suis aussi de ceux et celles qui pensent que, dans l’Europe d’aujourd’hui, l’islamophobie doit être reconnue comme une nouvelle forme de racisme, en ce qu’elle vise et « essentialise » les musulmans.

En même temps, s’en prendre de manière spécifique aux racismes qui ont un aspect culturel risque de disqualifier d’avance les critiques ou questionnements d’adversaires politiques ou philosophiques. La droite populiste le fait d’une façon systématique, mais des progressistes tombent parfois eux aussi dans ce piège. Où sont les limites entre, d’une part, le droit de penser et de s’exprimer et, d’autre part, la diffusion d’amalgames et de haine ? Comment s’armer pour éviter qu’étiquettes et anathèmes bloquent tout débat et creusent davantage les fossés qui séparent des communautés qui doivent ensemble faire société ? Ces questions montrent combien nous avons besoin d’information fiable et de lieux où soient possibles de vrais débats, des échanges de réflexions et d’arguments. C’est-à-dire d’une presse qui prend la mesure de ses responsabilités. n