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CHB, projet antédiluvien

Les autorités wallonnes s’apprêtent à construire un nouveau tronçon autoroutier à l’Est de Liège, entre Cerexhe-Heuseux et Beaufays (CHB). Vilipendé de toutes parts, ce projet est devenu le symbole d’une politique de mobilité dépassée. Mais les leaders wallons s’obstinent.

Quelles bonnes raisons peut-on invoquer pour construire une nouvelle autoroute dans un pays qui a la plus forte densité d’infrastructures routières au monde? Sans nul doute, s’il faut en croire les ingénieurs du Ministère de l’Equipement et des Transports, «CHB» sera le plus spectaculaire de nos menus autoroutiers ! Pour 12,5 km de béton, vous aurez six échangeurs et trois viaducs posés au milieu d’une zone Natura 2000 et de sites naturels uniques, véritable poumon vert à 10km seulement de Liège. Et autour de ce morceau de choix? Des centres commerciaux, de nouveaux lotissements et des zonings que l’on s’agite à prévoir. De quoi favoriser une péri urbanisation déjà galopante et vider un peu plus la ville au profit de la périphérie, le tout au prix d’un ballet de véhicules encore plus fou qu’aujourd’hui. Tiens, s’agissant du trafic, justement, voilà un argument souvent invoqué par les promoteurs de CHB : cette nouvelle autoroute servira, nous dit-on, au «trafic de transit», épargnant ainsi la ville. Raté ! Seulement 2,7 % du trafic attendu sur CHB sera de transit, tandis les véhicules se déplaçant localement constitueront l’écrasante majorité de la circulation sur cet axe Cf. STRATEC, 2003. L’étude d’incidence réalisée sous l’égide de la Région Wallonne parle même de «statu quo» en termes de mobilité et d’un effet négligeable sur le centre-ville et le tunnel de Cointe, voire d’un effet d’appel — donc d’un accroissement de circulation — à plus long terme. Autre argument? Créer un axe Amsterdam-Milan. Pas de chance: l’autoroute Verviers-Prüm assure déjà cet axe. CHB, enfin, comme «chaînon manquant européen»? Re-re-raté: le commissaire européen à l’environnement, Stavros Dimas, vient de tancer la Région Cf. Christophe Schoune et Pierre Morel, «Un coup de frein autoroutier», in Le Soir, 12 avril 2008 dans ce dossier qui n’est manifestement plus très bien vu à Bruxelles. Il est vrai que la Commission européenne, à la différence de la Région Wallonne, a complètement réorienté ses priorités en matières de transport, consacrant l’essentiel de ses moyens au secteur ferroviaire Cf. Philippe Ricard, «Les financements européens privilégient les axes ferroviaires», in Le Monde, 22 novembre 2007 , et réclamant, pour le secteur routier, des études qui, dans le cas de CHB, ont été négligées.

Voilà l’argument-choc qu’on nous ressert depuis des mois: le projet a trente ans ! Il est vrai qu’il y a trente ans — autant dire avant le Déluge — on ignorait tout du réchauffement climatique et du pic pétrolier…

Un enjeu social

Tout cela tait encore le plus cruel: des expropriations nombreuses, des quartiers menacés (dont La Brouck, à Trooz, ancien hameau ouvrier), des communautés locales émiettées (à Fléron), une région (plateau de Herve, vallée de la Vesdre) irrémédiablement trouée. Et des «choix» (ou non-choix) budgétaires préjudiciables aux plus faibles. En effet, alors que les caisses wallonnes ne sont pas spécialement remplies — on «débudgétise» déjà massivement via la Sofico Le recours à cette société financière permet en effet d’«externaliser» une partie de l’endettement régional, pratique qui pose par ailleurs de sérieuses questions pour l’avenir –, alors que la qualité du transport urbain à Liège laisse gravement à désirer et que le réseau TEC est arrivé à saturation sur plusieurs tronçons aux heures de pointe, on comprend mal que le pouvoir régional délaisse cette priorité pour consacrer 400 millions d’euros HTVA et le reste — soit in fine un demi-plan Marshall — à une autoroute inutile. Les 5000 signataires d’une pétition qui a beaucoup fait parler d’elle à Liège http://tramliege.be/ réclament l’investissement des moyens disponibles dans la construction d’un tram et l’amélioration des transports en commun. Il y a là un enjeu social de première importance, dans une région déjà précarisée: l’augmentation du coût de l’énergie laisse augurer en effet d’un avenir très sombre pour les étudiants, les chômeurs et les petits salariés tenus aux déplacements. Vous avez dit «écologie sociale»? Le silence assourdissant des responsables wallons sur CHB en constitue le démenti. Vous avez dit «développement durable»? Ecoutons M.~Daerden, le ministre wallon de l’Equipement: «Avant que je ne quitte le gouvernement, dans 18 mois, je sais que l’autoroute ne sera pas encore érigée. Mais je veux que, d’ici là, la décision de la construire soit irréversible: cela fait trente ans qu’on l’attend!» In Le Soir, 23 novembre 2007 Voilà l’argument-choc qu’on nous ressert depuis des mois: le projet a trente ans ! Il est vrai qu’il y a trente ans — autant dire avant le Déluge — on ignorait tout du réchauffement climatique et du pic pétrolier…