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Sophie Heine et les stéréotypes justifiant les dominations

Genre
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L’expérience morale contemporaine a donc un air de paradoxe. Chacun d’entre-nous apprend à se considérer comme un agent moral autonome, mais finit par être entraîné par des modes de pratiques esthétiques ou bureaucratiques qui l’engagent dans des relations manipulatives avec autrui. En vouant protéger l’autonomie qu’on nous a appris à chérir, nous souhaitons ne pas être manipulés par autrui ; voulant incarner nos principes dans le monde pratique, le seul moyen nous semble être de diriger vers autrui ces modes de relation manipulatifs aux quels chacun veut résister.” (Alasdair Mc Intyre, Après la vertu, PUF, 1997, p. 69.)

Sophie Heine, Genre ou liberté, vers une féminité repensée, Academia L’Harmattan, Louvain-la-Neuve, 2015

Présentation du livre

Dans cet essai, l’auteure explore la manière dont certains stéréotypes sur le genre sont utilisés pour justifier les dominations qui affectent les femmes, processus des plus ordinaires aux plus extrêmes, des concours de beauté aux violences physiques et harcèlements. Les injustices qu’endurent les femmes sont explorées et comprises de leur point de vue, dans la concrétude de leurs existences. L’auteur recense donc les idées reçues sans critique, perçues comme évidences de bon sens sur la naturelle (?) empathie du genre féminin et son aptitude innée au care, sur la maternité sacrificielle, l’injonction à la beauté, l’objectivation sexuelle ou la douceur « naturelle » des femmes opposée à la virilité agressive du genre masculin. Dans un chapitre sur la concurrence entre les femmes opérant sur le marché matrimonial, l’auteur ne manque pas de relever que les femmes y intègrent, comme critère d’excellence, des stéréotypes masculins et, de ce fait, consolident leur infériorité en se comparant entre elles. Ces critères, indique l’auteure, facilitent la perception des femmes comme des objets plutôt que comme des sujets et constituent donc également un obstacle radical à leur engagement pour une société plus juste.
A travers cette analyse des stéréotypes légitimant la domination, l’auteure, par effet de rebours, esquisse les contours d’une féminité repensée. Elle développe son argumentation en se démarquant à la fois des partisans d’une explication naturelle des différences entre les sexes et ceux qui les attribuent à la construction sociale. Se dégage un troisième chemin entre nature et culture, que l’auteur nomme un différentialisme émancipateur. La différence ne doit être ni critiquée ni vénérée, mais prendre la route d’une féminité compatible avec la liberté, définie comme la capacité de chacun à élaborer et à mettre en œuvre ses conceptions du bien et projets de vie. (P. A.)

Critique

Il y a plusieurs manières de rendre compte d’une lecture qui prétend au vrai, autant la recension académique où un savoir en scrute un autre que des manières plus engagées, plus personnelles, où le lecteur s’éprouve interrogé, concerné voire déstabilisé par le travail de l’œuvre en lui, plus encore, faire rhizome avec les rhizomes de l’œuvre, brancher son expérience de vie sur le livre, sur ce que le propos veut éclairer, affirmer et critiquer dans une situation donnée. En ce sens, Genre ou liberté est un livre rhizome que je brancherai avec ma propre situation de mâle. Cette lecture fait évènement, une rencontre fait coup de pied dans une fourmilière. Le branchement rhizomatique n’a rien d’innocent, car Sophie Heine traite de multiples manières de ce qu’il advient dans les relations à domination. Comme mâle, j’ai participé à cette domination où l’égoïsme courtermiste et aveuglé refusait de prendre en compte les conséquences du donquichottisme abusif dans lequel je complaisais ma liberté libérale : accepter de renoncer à une posture dominante dans un faisceau de relations sociales n’est pas à la portée de la première bourse éthique. Quand des femmes se mettent au refus, à la saine agressivité de combat, qu’elles font camp les unes avec les autres pour contrer les tactiques de subordination qui les enchainent, une à un, le salut vient de leurs volontés communes unifiés et de la modification radicale du regard qu’elles portent spéculairement sur leur condition. Spinoza dirait simplement avec elle qu’elles se montrent plus fortes et plus intelligentes que leurs adversaires, qu’elles les mangent parce qu’elles refusent leurs critères stéréotypés qui les infériorisent dans leur devenir de femme, de mère, d’amante, d’épouse et de professionnelle. Sophie Heine insiste, et son vocabulaire se fait parfois guerrier, sur ces conflits pratiques de tranchée modeste fort éloignés de l’aristocratisme éthique des féministes des beaux quartiers.

« Pour » Okin, « contre » Sandel

Brancher, en l’occurrence et l’auteure y procède, autant l’intime que l’extime, à travers des thématiques qui ratissent des composantes déterminantes de l’existence : l’empathie, la maternité, la beauté, la sexualité, la douceur et la rivalité. Cet angle d’attaque, qui vise autant l’oreiller que la sphère du travail et la place publique, renvoie ici à la critique de la philosophie politique d’Hannah Arendt. Pour cette dernière, la politique ne commence que dans la sphère publique. La sphère privée n’en veut rien connaître, or prétend Sophie Heine de concert avec Suzanne Moller Okin, le mariage et la famille, tels qu’ils sont pratiqués dans notre société, sont des institutions injustes et les femmes y participent, minorisées et dominées, en tant qu’épouse et que mère. L’action politique conséquente, aimantée par la construction d’une société juste, doit s’immiscer jusqu’au plus profond des foyers et des consciences. En l’absence de familles justes, indique Moller Okin, avons-nous la moindre chance d’espérer qu’une société soit juste ?(…) si les relations que les parents d’un enfant entretiennent entre eux ne sont pas conformes aux critères les plus élémentaires de justice, est-il vraisemblable que leur enfant devienne un adulte doté d’un sens de la justice ? Nous pourrions dire que les familles doivent être des écoles du juste et Sophie Heine a beau jeu de montrer que les rapports sociaux institués infériorisent structurellement les femmes au sein de collectifs organisés injustement, où leurs aspirations sont minorées, écartées du destin commun voire louées quand elles se cantonnent dans la figure de la mère sacrificielle [2.C’est là d’ailleurs que la position de Sophie Heine vient opportunément au clash avec Michael Sandel]. Sophie Heine se heurte là avec brio aux thèses de Michael Sandel, le plus connu des philosophes communautariens. Pour ce dernier, dans la famille, prédominent les valeurs de l’affection spontanée et de la générosité. De plus, si la justice y devenait la valeur première, certaines vertus plus nobles dont la posture sacrificielle serait minorée et la justice, au lieu d’être une vertu, deviendrait un vice. Pour Sandel, la justice doit rester une vertu compensatoire à actionner dans des conditions de vie dégradées. Il y a plus haut que la justice dans la famille, poursuit ce dernier : des actes bénévoles ou de pitié, d’héroïsme et de sacrifice de soi-même qui découlent de sentiments moraux d’un ordre plus élevé servent à lier ensemble une communauté de personnes. Dilemme tragique : justice ou sacrifice ? Est-ce que Sophie Heine occupe ici paradoxalement la figure d’un Créon féminisé face aux devoirs sacrés hérités d’un Antigone d’un autre âge ?

Mon sentiment est que l’auteure nous propose trois livres pour le prix d’un : un examen minutieux et original des stéréotypes justifiant les dominations, une féminité repensée et – c’est un ancrage délicat – le tout annexé à une vigoureuse philosophie libérale visée comme résultat. Autant les deux premiers livres rallient mon adhésion, autant le dernier ne cesse de me poser problèmes, tant sa vigoureuse foi libérale la conduit à traquer toute forme de philosophie communautarienne, même dans la définition républicaine de la domination tirée de l’œuvre du philosophe néo-républicain Philip Pettit. Dans un article paru dans la revue Politique, l’auteure qualifie la philosophie de Pettit de perfectionniste[3.Une théorie est perfectionniste si elle inclut une conception particulière de la vie bonne à partir de laquelle on définit ce que sera un traitement juste envers les individus. Une société libérale est anti-perfectionniste quand elle s’interdit de promouvoir une conception de la vie bonne.], parce que valorisant la participation civique caractérisée, et soutenue par l’Etat, comme soutien aux institutions garantissant la liberté comme non-domination : promouvoir une conception du bien comme intrinsèquement meilleure et affirmer que l’Etat a le devoir d’inculquer cette dernière à ses citoyens, notamment par l’éducation, risque de mener aux dangers inhérents à ce que les philosophes appellent le « perfectionnisme ». En bonne stratège, Sophie Heine choisit Pettit, elle aurait pu, pour caractériser la domination, se référer à Bourdieu, à Weber, voire même à la galaxie spinozienne. Son choix conceptuel s’avère particulièrement pertinent, car pour Pettit, l’interférence effective n’est pas un préalable à la domination (…) La domination existe simplement quand un agent individuel ou collectif possède la capacité d’utiliser son pouvoir d’interférence arbitraire sur un autre » [4.Sophie Heine, « La liberté … », op. cit.]. Le formatage des consciences et des corps établit, comme une ombre planante, un arsenal justificatif si puissant en mode « épée de Damoclès » que les femmes peuvent, ce n’est pas toujours le cas, se complaire dans l’univers sucré du consentement aux procès relationnels qui les dominent.

Une certaine incompréhension

J’avoue ma difficulté à comprendre pourquoi, hormis dans la pureté du concept, l’auteure s’obstine à chercher des poux à la définition républicaine de l’engagement civique. Le risque ne semble pas grand de voir émerger de grands rassemblements humains fédérés par les enthousiasmes de la liberté positive[5.Le philosophe Isaiah Berlin distingue la liberté négative, je suis libre dans la mesure où personne ne vient troubler mon action de la liberté positive, je suis libre dans la mesure où  ma vie et mes décisions dépendent de moi, et non de forces extérieures quelles qu’elles soient. Cette distinction recoupe la distinction opérée par Benjamin Constant entre la liberté des Anciens, je suis libre dans la mesure où je participe activement et constamment au pouvoir collectif et la liberté des Modernes, je suis libre dans la mesure où aucun pouvoir, aucune autorité ne s’immisce dans ma sphère privée pour y imposer ses volontés.] qui contraindrait les femmes et leurs alliés masculins à devoir absolument s’engager pour la justice. D’autres commentateurs ont relevé dans Genre ou liberté la prégnance et la fréquence du syntagme « devoir ». Dans sa défense du libéralisme politique, l’auteure, page 14, utilise à 7 reprises des verbes qui relèvent du devoir : une société juste devrait garantir la liberté …les individus doivent tout d’abord être débarrassés des nombreuses chaînes… la liberté requiert d’avoir un revenu …elle suppose d’abord une application pleine et entière des droits économiques …opérer et mettre en œuvre des choix de vie de façon relativement libres nécessite une situation matérielle au moins décente … (la liberté) doit également se traduire par une participation des citoyens aux décisions qui les concernent collectivement …la liberté suppose la suppression de toutes les formes de discrimination. Ce programme aussi ambitieux que pertinent requiert une action collective qui mobilise résolument un engagement altruiste, problématiquement adossé à l’égoïsme promu par l’auteure comme ressort décisif pour la mise en œuvre du règne des fins défini selon Kant comme …des êtres raisonnables se soumettent tous à la loi qui veut que chacun d’eux ne puisse jamais se traiter lui-même ni traiter les autres simplement comme des moyens, mais toujours en même temps comme des fins en soi. Agir collectivement réclame à tout le moins pour un temps, une renonciation à l’intégralité de sa liberté négative : les groupes minoritaires ne peuvent œuvrer contre les dominations qu’en mettant en parenthèses, seulement en parenthèses – et le tempo de cette parenthèse définit la différence entre les le militantisme comme aliénation et le militantisme comme libération – les charmes de sa liberté négative pour encaisser avec volontarisme les exigences citoyennes disciplinées collectivement au sein de l’agir ordonné tel que le promeut la liberté positive.

Agir machiavéliquement, comme le propose pertinemment Sophie Heine, réclame une part d’ascèse, une loyauté aux objectifs du groupe citoyen et à ses membres : un groupe militant dominé par l’adversaire au sein de rapports de force complexes profondément enracinés dans l’existence – c’est une des grandes forces de l’œuvre de Sophie Heine de le montrer – se doit d’élaborer une discipline normative pour une action qui circule de l’extime à l’intime : changer la société dans un sens libéral suppose ici de changer les vies dans l’épaisseur de leur existence au sein de situations concrètes où l’agir collectif, solidaire, altruiste et loyal donne le premier nom de la vertu. Les personnes en situation de domination, voire d’ensorcellement, selon les mots d’Isabelle Stengers, doivent apprendre à se protéger : « Peut-être que toute création politique a-t-elle besoin que ceux et celles qu’elle réunit sachent faire exister le fait qu’ils ont besoin d’aide afin que la situation les oblige à penser/sentir. (…) Elles ont (ré) appris la nécessité de tracer le cercle, de créer l’espace clos où puissent être convoquées les forces dont elles ont un besoin vital »[6.Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste, Paris, La Découverte, 2011.]. La conception traditionnelle de la liberté, à l’allemande, indique que nous sommes libres quand nous sommes protégés par un enclos, par une enceinte. Il semble, et là je marque mon accord avec la pensée républicaine, que la lutte collective des minorités contre les dominations constitue un bien en soi, car lutter, c’est déjà, avec les autres, sortir de facto de la domination. Et les minorités en lutte promeuvent une identité commune dont le trait substantiel, oh! horreur, est de percevoir et de cheminer vers une société où la main de fer de la domination a, à tout le moins, relâché la pression.

The Art of War

Les stéréotypes légitiment la domination, voire la justifient à l’horizon de normes morales qui ne sont pas là à notre disposition pour des discussions académiques mais pour généraliser des pratiques qui minorisent et infériorisent les femmes dans leurs rapports sociaux, amoureux, familiaux et économiques. Dès lors, l’auteure se mue en conseillère stratégique et tactique. Il s’agit d’un rapport de guerre : les femmes doivent se blinder, utiliser leur prédisposition acquise à l’empathie pour mieux cerner les faiblesses et aspirations des dominants et, partant, mieux réaliser leurs aspirations dans un contexte hostile et dans le contexte spécifique de la maternité. Concernant les manières de s’émanciper des critères masculinistes de la beauté, les femmes devraient pouvoir faire alliance avec un nombre croissant d’hommes pour contrer pratiquement les exigences formulées par le système économique actuel où les femmes se confèrent des brevets d’excellente érotique à partir de critères élaborés par des mâles sexistes et vendeurs. Elles doivent pouvoir établir fermement et d’une manière autonome leur rapport à la sexualité, lieu où la domination exerce sans doute ses prérogatives dans les scènes les plus intimes, à la fois par la diffusion implicite de normes comportementales et par la justification de la prédation égoïste et valorisée des mâles souvent avantagés par leur constitution physique. Les femmes doivent-elles se comporter à l’instar des mâles ? Sophie Heine leur confie la lourde tâche d’introduire Kant, cet ascète piétiste, dans la chambre à coucher : les femmes devraient néanmoins éviter un piège tentant : celui de vouloir imiter les comportements sexuels débridés et égocentriques encore adoptés par beaucoup d’hommes. Il n’est pas question d’abolir les différences de genre, mais d’œuvrer de telle manière que ces différences ne préconstituent pas une série d’handicaps et d’infériorités structurelles autant que culturelles auxquelles les femmes s’exposent quand elles s’engagent sexuellement avec les hommes. Quand des femmes se posent en rivales compétitives afin de conquérir un partenaire sur le marché de l’amour, elles valorisent et valident des critères de beauté et d’attraction qui sont fortement antinomiques avec la liberté effective des femmes. Sans doute qu’elles sont appelées à valoriser les pratiques des hommes qui s’éloignent de la prédation compétitive : les images de « don juan » et de « Casanova » encore dotées d’un important potentiel d’attraction, poussent toujours les femmes à faire preuve d’une immense tolérance envers les incartades masculines.

La grande force, car il s’agit de forces bien davantage que d’idées, de l’œuvre de Sophie Heine est de montrer à quel point le loup dominant s’est installé à demeure dans la bergerie dominée. Les femmes pensent leur condition à l’intérieur d’un carcan moral, esthétique, pseudo-scientifique, voire économique – car elles sont produites comme objets, sexe-machines intimement liées au couple frustration-achats impulsifs de compensation – qui pérennise leur condition d’appendices corvéables et aliénables. L’arpentage réalisé par l’auteure ratisse tous les registres de la vie quotidienne pour nous dresser un portrait d’un bagne existentiel dont les femmes peuvent sortir, censément motivées par leur appétence pour la liberté. La liberté n’est pas un bien achetable sur les marchés ou distribué par l’État. Vivre sous la dépendance d’un maître peut, selon les circonstances, les lieux et les moments, s’avérer des plus confortables. Sophie Heine, en libérale conséquente, fait l’impasse sur l’action de l’État qui peut pourtant agir en soutien significatif en poursuivant pénalement certaines formes de domination structurelle et en valorisant, en soutien de l’éducation permanente, les activités de décrassage existentiel libérantes.

Un manuel de combattant

Un grand mérite de son œuvre est d’élargir le propos en s’appuyant sur de solides lectures de neuropsychologie et d’une abondante littérature scientifique examinant minutieusement les différences réelles, supposées ou faussement postulées qui démarquent les genres. La distinction qu’elle opère entre l’empathie cognitive qui peut constituer une arme redoutable aux mains des pervers harceleurs et l’empathie affective tissée de compassion altruiste est de ce point de vue très instructive. Il n’est pas nécessaire de se munir de précautions idéologiques ni de demander l’imprimatur à des épistémologues exigeants pour analyser aussi bien qu’elle le fait ce tableau de pathologies aliénantes produites par des dominations diverses : les esclavagistes ne sont pas loin dans les îles, ils résident pour partie en nous et participent intiment à la définition pratique de nos vies, ils s’y insèrent et chaque libéral de bon ton est sans doute pour partie un maître galérien qui peut avoir le bon goût d’ignorer ses disciplines. L’auteure a bien fait, il ne s’agit pas prioritairement d’exhiber des preuves « scientifiques » mais de recenser, en prenant distance, une gamme élargie d’épreuves existentielles.

Une si grande intelligence qui se lève si tôt, perçoit dans l’histoire des hommes et des femmes des répétitions et des constantes. Elle se montre capable, pour notre intelligence, d’en extraire des représentations de ce qu’il est bon de souhaiter pour que les femmes et les hommes vivent au plus juste. Manque parfois, mais avons-nous le droit de le reprocher à sa jeunesse, quelques lambeaux existentiels qui font la chair du monde et qui serviraient de guide pédagogique pour illustrer le propos. Ce livre n’est pas d’innocence, on pourrait presque dire qu’il relève du manuel du combattant et sa richesse méthodologique pourrait étendre la grammaire des luttes à d’autres groupes humiliés, offensés et dominés. L’horizon semble plus viser la libération de ces aubes fécondes faites de ces rencontres où se montre la poussée de l’espèce, où s’enclenchent autant de pulsions prédatrices que des égoïsmes libéraux bien gérés, des sacrifices librement consentis autant que des solidarités compassionnelles. Et ces drames, seuls le travail de l’artiste et la souffrance des dominés peuvent les montrer, ce que toutes les sciences humaines réunies ne pourront pas dire, le chemin est tracé pour la créativité romanesque [7.Chemin que suit l’auteure qui a publié récemment un excellent roman, Chapeau rose, Edi livres, 2017.] montrant au plus vrai comment des hommes deviennent des prédateurs et comment les femmes s’en délivrent en cherchant des alliances. Cette poussée de l’espèce, abusivement nommée amour commet autant de crimes qu’elle ne soulève d’émois, elle donne lieu autant à des générosités sacrificielles, attachements fidèles et féconds qu’à des égoïsmes violents. Certes, une société où la féminité n’est pas seulement repensée selon les directions esquissées par l’auteure mais agie sera certes une société libérale, mais le chemin qui pourrait y conduire apparaît malaisé à pratiquer quand la participation civique active est critiquée parce qu’elle ne se conforme pas à une grammaire libérale exigeante.