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Maxime Rodinson, marxiste et orientaliste

L’un des plus grands orientalistes contemporains a déserté notre monde au début de l’été à l’âge de 89 ans. Il s’en est allé fort discrètement car dans les grands médias, où de prétentieux ignares sont si souvent appelés à nous faire des révélations sur la moindre secte islamiste, personne n’a cru bon faire état de ce départ. Du côté des quotidiens, Le Monde et Libération ont fait exception. Le premier a titré : Un marxiste face à l’islam, le second : Un éclaireur de l’Orient. Il s’agit de Maxime Rodinson, un érudit comme on n’en fait plus (il pratiquait une trentaine de langues et dialectes… dont l’éthiopien ancien). Né à Paris dans un milieu juif très modeste influencé par les idées communistes, l’autodidacte Rodinson, qui n’avait pas eu les moyens d’étudier au-delà de l’école primaire, parvint à l’âge de 17 ans à rattraper les études supérieures en réussissant le concours redouté de l’Institut national des cultures et des langues orientales (« Langues-O »). C’était au début des années trente. Il partit parfaire ses connaissances au Moyen-Orient pendant une dizaine d’années. Il ne s’est trouvé personne pour contester la réputation de Maxime Rodinson d’être un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde musulman. L’enseignement de ce marxiste englobait aussi bien l’histoire que l’ethnologie et la sociologie. Pierre Lory, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, affirme que Rodinson a été le premier à situer l’évolution de l’islam en termes sociaux et économiques : pourquoi est-ce que le monde musulman a connu tel développement à telle époque et s’est figé à telle autre? Cela nous a valu une série d’ouvrages dont le plus connu, Mahomet, qui date de 1961 (il a été réédité), fait toujours référence aux yeux des chercheurs les plus sérieux. Plus tard nous avons eu droit à Islam et capitalisme et à Marxisme et monde musulman. Mais tout érudit et bardé de titres universitaires qu’il fût, Maxime Rodinson n’a pas hésité à s’engager complètement dans des combats qui avaient le droit et la justice pour dénominateur commun. Dès 1968, alors que le mouvement national palestinien commence à peine à se manifester de manière autonome, il fonde un groupe de recherche et d’actions pour la Palestine. Un an plus tôt il avait publié dans la revue les Temps modernes un retentissant article dont le titre était une interrogation : Israël, fait colonial? La plupart des articles que Maxime Rodinson a rédigés pour prendre part à l’interminable débat sur la question juive, notamment au regard du sionisme, ont été rassemblés dans l’ouvrage Peuple juif ou problème juif?, réédité en 1997 à La Découverte Le marxiste connaisseur de l’Orient arabe – tout autant que du monde juif! – donnait une réponse positive à sa question. Rodinson admettra s’être lancé dans ce combat pour les droits des Palestiniens aussi, mais pas essentiellement, en tant que Juif (mais un Juif qui dénonçait « la peste communautaire »). L’une de ses justifications tenait en deux phrases : « Il y a un petit nombre de Juifs dans mon genre qui sentent qu’ils ont un devoir particulier envers ce peuple (les Palestiniens) spolié par des Juifs. Je préfère me rattacher au judaïsme de cette façon-là que d’autres. »