Retour aux articles →

François Martou, de la gauche chrétienne à l’union de la gauche

«Les liards sont partis dans la poche des actionnaires et des managers des dernières années. Certains méritent d’être mis en cabane pour escroquerie». Ainsi s’exprimait François Martou encore quelques jours avant sa mort qui a mis fin, inopinément, à la «croisade» qu’il avait engagée face aux scandales en chaîne qui ont marqué le monde économique et surtout financier depuis la fin de 2008. Dans le combat contre la droite et les milieux de la spéculation, l’homme était infatigable. Malgré la retraite, il avait repris du service avec une énergie intacte, que seule une mort brutale pouvait arrêter. Comme professeur d’économie à l’UCL, comme premier directeur (1974-1985) de la FOPES (Faculté de politique économique et sociale ouverte aux adultes), comme président du Mouvement Ouvrier Chrétien (1985-2005), il fut le pédagogue infatigable de l’antilibéralisme, au nom de l’idéal d’égalité qui fut la boussole de toute son existence. Son passage au Moc mettra définitivement fin aux relations historiques privilégiées avec le PSC et contribuera à donner un contenu plus politiquement actif et plus ancré à gauche au pluralisme, option fondamentale adoptée en 1972 par le Moc pour sortir des contradictions et des affrontements internes dus à la dispersion de plus en plus marquée de ses militants et de ses cadres vers le CDH, Ecolo et le PS. Toutes ces années il n’aura de cesse de multiplier les contacts en vue de réaliser un rassemblement des gauches –un olivier- susceptible de barrer la progression de la droite libérale et sa politique de privatisations et d’affaiblissement des fonctions collectives. «Eux c’est eux ; nous c’est nous», avait-il coutume de dire pour souligner l’indispensable autonomie du mouvement social vis-à-vis des partis politiques. Lorsque, le 4 mars 2007, dans un courriel, François Martou annonçait à la fois son adhésion au Parti Socialiste et sa candidature sur la liste PS du Sénat, nombreux sont ceux qui s’étonnèrent de ce qu’ils considéraient comme un retournement. Or, pour François Martou, il s’agissait-là d’une nouvelle étape d’un itinéraire d’engagements dans les domaines économique, social, culturel…et universitaire. Ce cheminement a démontré une cohérence, que rendra plus visibles sa campagne électorale. Tout en proclamant la nécessaire autonomie du mouvement social, poser cet acte constituait pour lui le juste prolongement non seulement de pratiques d’indignation et de résistance face aux injustices et aux dysfonctionnements sociaux, mais aussi de propositions alternatives pour l’égalité, la justice, la solidarité. Il estimait poursuivre ainsi son effort d’ouverture et de dépassement des clivages en vue de constituer un contrepoids fort face à un libéralisme économique qui menace perpétuellement de détruire les équilibres sociaux sous couvert de « modernisation ». Pour François Martou, gauche associative et gauche politique combattent toutes deux pour la liberté d’individus solidaires. Il a cherché à faire l’expérience des deux voies. On a pu, et on peut toujours, à juste titre, distinguer plusieurs gauches, mais François estimait qu’aujourd’hui il est prioritaire de les rassembler et de permettre à chacune de renforcer les orientations et les pratiques qui ne sont le monopole d’aucune mais que certaines ont développé plus que d’autres. Mouvement social et parti politique poursuivent souvent des objectifs communs par des voies et des manières différentes. On peut, pour des raisons liées au contexte, en accentuer l’opposition ou la complémentarité. Le choix de François Martou allait dans le sens de la complémentarité, affranchi qu’il était de son mandat au Moc depuis trois ans. L’autonomie du mouvement social n’était pas en cause dans une telle démarche, et l’organisation qu’il a dirigée pendant vingt ans a pu se reconnaître dans une des formes du prolongement de son action et mesurer combien il s’agissait là d’une contribution intéressante au pluralisme dont il se revendique. L’adhésion à un tout (l’Olivier) n’exclut pas l’adhésion concrète à une des parties. Telle était en tout cas la conviction de François Martou à ce moment. Comme tous les militants de gauche de toutes les époques, il y avait chez François Martou foi et fidélité à l’avènement d’un au-delà du capitalisme. Mais à la différence des générations antérieures, il a vécu à une époque où l’on a appris qu’aucune preuve ne peut être trouvée de cet avènement. Sa foi était donc une foi sans espérance – il n’y a d’espérance que si l’on discerne au moins le signe d’une possibilité – et sa fidélité était une fidélité à la fidélité même et non pas à une promesse originaire ou à un projet plausible. Et il était communicatif ! Il avait du souffle et savait le partager. On peut dire de François qu’il a été le prototype d’une forme de militance qui n’est plus discipline guidée par la loi du père et donc entièrement subjective. Il a cherché à créer un « collectif » indifférent aux différences. Tous peuvent y prendre part qui se laissent guider par le devoir d’inventer l’avenir, d’échapper aux répétitions qu’impose l’appartenance à des catégories comme démocrate chrétien, écolo, communiste, socialiste, etc. Peu importe le parti, ce qui compte, c’est de se rassembler dans ce point au-delà de l’horizon où le capitalisme est laissé derrière. Il aspirait à une communauté où le désir n’est plus uniforme, où le multiple vibre, où le révolutionnaire devient démocratique.